(c) Reynald Drouhin, 2018
Temps libre, Galerie Vanessa Quang (Paris)
A chaque fois que je fais cette performance, j'essaie d'avoir un verre d'eau à portée de mains, et je le termine presque avant d'avoir commencé à écrire.
J'ai peur d'avoir envie de faire pipi. Les toilettes ne sont pas loin.
Ils n'ont pas encore remarqué que j'avais commencé. Il est six heures.
Mais l'heure du vernissage était confuse, parfois j'ai vu que c'était indiqué 18h30.
Et puis, il paraît que c'est un peu compliqué, à partir d'une certaine heure, il faut un code pour entrer dans la cour. Ou alors ça, c'est seulement les week-ends.
De toutes manières, personne n'est jamais ponctuel à une vernissage. Peut-être que c'est pour laisser du temps aux artistes pour terminer le montage, nettoyer un peu.
Thomas dresse le buffet avec Annabel.
Alexandre n'est pas encore revenu. Il n'habite pourtant pas très loin. Il était seulement parti pour chercher quelques cartes de visite.
Il y a un peu plus de monde autour de moi. Mais ce sont les artistes mêmes de l'exposition, la stagiaire, et Reynald.
Brieg observe une œuvre de Thomas.
Maintenant, il regarde l'écran. C'est amusant.
Juliette fume dehors.
Elle rit.
Thomas a disposé les bouteilles de bière comme dans une grille. Il est très méticuleux. Je me souviens déjà de ça. Les premières fois où je l'ai vu.
Alexandre est rentré dans la galerie.
Je ne sais pas s'il est revenu avec ses cartes de visite. Il a apporté deux grands sacs de papier.
Chacun s'arrête à un moment pour lire quelques lignes et repartir. Annabel dit qu'on lit mal.
Je crois qu'on me dit tout le temps ça. C'est une récurrente.
Delphine précise qu'elle s'appelle Delphine et accueille les premiers visiteurs.
Je ne les connais pas. Reynald dit qu'il arrête de boire de l'alcool.
Les visiteurs n'ont pas encore inauguré le buffet.
J'ai l'impression que Thomas s'inquiète du fait que je puisse écrire tout ce qu'il dit. Pourtant, je n'entends pas tellement.
Sauf, si j'y prête attention.
C'est drôle, on a souvent peur de dire des choses que les autres puissent entendre et comprendre.
Je crois que c'est pour ça que je trouve rassurant de parler en espagnol dans l'espace public. Non pas que je parle toute seule.
Je veux dire, avec d'autres personnes qui parlent espagnol aussi.
J'ai quelques amis avec lesquels je peux parler espagnol et même mélanger dans une même phrase plusieurs langue. Ça me met en confiance, de pouvoir choisir le bon mot dans la bonne langue.
Je ne connais pas très bien Annabel. Je la vois passer, elle est pleine d'énergie.
Peut-être qu'elle est un peu stressée ?
Alexandre rit. Thomas précise que Reynald boit du cidre. C'est vrai que je l'ai entendu proposer du cidre.
Je trouve qu'il y a une constante dans les vêtements des gens qui sont ici. Il y a beaucoup de bleu. Du jean en réalité. De différentes teintes. Mais quand même. D'ailleurs, Delphine porte un pantalon et une chemise en jean. J'aime beaucoup ses chaussures. Il y a des chaussures sympas dans ce vernissage. J'en ai vu passer plusieurs.
Il y a quelques jours, j'ai remarqué qu'en moyenne, j'achetais une paire chaque mois.
Pourtant, je crois que je mets les mêmes chaussures tous les jours. Peut-être que je change par saison. En fonction de la température.
Hier, on m'a dit qu'aujourd'hui serait le seul jour de printemps. Il va pleuvoir toute la semaine.
C'est un hiver qui n'en finit pas.
Il fait assez humide aussi. Chez moi c'est un peu humide. Alors j'ai décollé tous les meubles des murs. J'ai laissé un petit espace.
Il paraît que ça aide.
Une fois, le propriétaire d'un appartement que je voulais louer m'avait conseillé de laisser un espace entre les murs et le mobilier. Je trouvais ça absurde parce que c'était un studio et ça me faisait perdre beaucoup trop d'espace. En proportion.
J'habite encore dans un tout petit appartement.
Parfois, j'essaie de l'améliorer, pour donner l'illusion de plus d'espace.
Et je regarde ces vidéos sur Youtube, qui précisent Tiny Houses, ou Tiny appartement, et qui montrent comment des architectes agencent leurs maisons de 9m2 et trouvent plein d'astuces pour transformer en quelques minutes une chambre en cuisine ou en bureau.
Evidemment, les travaux pour y arriver coutent cher. Et puis, je me dis que si j'avais autant d'argent, je déménagerais.
Mais j'aime bien mon appartement. C'est lumineux.
En ce moment, il y a tous les jours quelqu'un qui fait des travaux. Soit de l'autre côté du mur de ma cuisine. Soit au rez-de-chaussée.
C'est une boutique au rez-de-chaussée. Il y avait un antiquaire. Ou un brocanteur. Je ne sais jamais réellement quelle est la différence.
Est-ce que l'antiquaire cherche des objets anciens, qui ont une grande valeur et le brocanteur un peu tout et n'importe quoi ?
Une petite fille me prévient qu'on peut voir mon écran d'ordinateur.
Elle va voir toutes les œuvres avec enthousiasme.
Et avant l'antiquaire/brocanteur, la boutique était occupée, non, investie, par la maman d'Antoine.
Occupée ça fait vraiment squatteur, ou alors une manifestation.
La maman d'Antoine a presque tout l'immeuble. Sauf deux appartements je crois.
C'est comme ça que j'ai eu cet appartement.
J'avais regardé des appartements de toutes sortes. Différents prix, tous tournaient autour de 700 – 800 euros.
Alors quand elle m'a demandé ce que j'avais pensé au loyer, c'est ce que j'ai proposé.
Après, je me suis dit que j'aurais pu dire moins.
J'entends Thomas essayer de lancer de nouvelles rumeurs. Brieg a activé sa pièce sonore aussi. J'aurais bien aimé le voir à l'oeuvre.
Je ne sais plus qui me disait il y a quelques jours qu'il étudiait la formation des mythes.
Ça m'arrive souvent ça, de me souvenir d'une conversation mais pas de la personne.
Je ne sais pas si c'est vexant pour la personne. D'un autre côté, je me souviens de ce qu'elle dit.
Hier soir, c'était assez étrange finalement. J'ai aussi fait cette performance, mais pendant une rencontre avec Eric Marty à la Bibliothèque des Grands Moulins.
Aujourd'hui, c'est très différent.
J'avais trop chaud, maintenant, j'ai peur d'avoir froid. Pourtant, il a fait beau aujourd'hui.
Plus tard, je change de lieu.
Je crois qu'il fait chaud au Palais de Tokyo. C'est la salle de projection où il y a de la moquette au sol.
Annabel explique à la petite fille les dangers des édulcorants.
Il n'y a plus personne en face de moi. Ah si, quelqu'un vient d'entrer. Mais c'est pour piocher quelques chips. Il s'est arrêté un peu devant moi.
Je me demande si on se sent obligé de faire ça quand on est public. Eviter d'avoir l'air d'être là pour manger.
Je me souviens d'un guide qui recensait les meilleurs buffets de vernissages. Les meilleurs spots pour bien manger. Mais je ne crois pas qu'ils aient eu une section vegan.
En première année aux Beaux-Arts, certains étudiants se faisaient un planning des vernissages. Un peu pour voir, mais aussi pour manger. Je crois qu'on était tous assez pauvres.
Peut-être pas. C'est peut être une idée que je me fais. Ou alors le groupe que je fréquentais.
Je vois peu d'anciens camarades de l'école. Beaucoup ont changé de ville, mais il y a quand même un groupe soudé qui est resté à Rennes. Je croise de plus en plus d'anciens étudiants de Rennes à Paris, dans diverses soirées. Les mêmes où je croise les amis de ma mère. Tout le monde va dans les mêmes lieux.
Alex discute avec quelqu'un que je ne connais pas.
Il me regarde en mangeant quelque chose. Une olive probablement.
Salut Damien.
Alexandre explique son œuvre. J'aime bien. Je trouve que c'est plein d'humour.
Il a agrandi un masque pour le visage. Comme quand on met des tranches de concombre sur les yeux. Mais là, ça prendrait tout le visage. C'est une énorme tranche de concombre avec deux trous pour les yeux.
Je n'ai jamais fait ça, de poser des tranches de concombre sur mes yeux.
Je me dis que c'est plutôt la sensation de fraicheur qui donne cet « effet coup de fouet ».
C'est une expression que j'ai apprise dans les publicités. Personne ne dit ça dans la vie.
Je ne sais pas comment est-ce que les publicitaires ont eu cette idée « coup de fouet », « coup d'éclat ». Je ne suis plus si sûre qu'on dise « coup de fouet ».
On dit plus souvent « coup d'éclat ». Hier soir, j'ai parlé de ma crème contour des yeux.
J'ai peur qu'on pense que je suis trop préoccupée par les crèmes de beauté.
Crème de beauté d'ailleurs, ça sonne bizarre.
Est-ce qu'on peut réellement appeler ça crème de beauté ? Est-ce qu'on dit ça pour ne pas dire que c'est une crème-médicament ? Un remède
On parle parfois de remède miracle. « Il n'y a pas de remède miracle ». Je ne sais pas ce qu'il existe alors comme miracle.
J'ai l'impression que les gens qui utilisent le plus ce mot « miracle » sont ceux qui croient le moins. En terme de religion je veux dire.
Ou alors, il y a ceux qui parlent de magie. Souvent pour les mêmes choses : miracle de la vie, magie la vie...
Il ne faut pas que je bouge beaucoup parce que cette chaise est un peu instable.
D'ailleurs, elle n'est pas si confortable. Mais c'était la plus discrète parmi celles qui étaient dans la galerie.
Je trouve que l'écran est un peu jaune. Mais je n'ai pas su faire ce réglage.
Je ne me rends pas compte du monde qu'il y a dans la galerie.
Pas beaucoup, mais ça résonne un peu.
Je ne sais pas si quelqu'un s'est souvenu de monter le volume de la vidéo d'Alisson. Je ne l'entends pas d'ici. Je ne l'ai vue qu'avec une musique très très basse.
Je ne me souviens plus du code pour entrer dans la galerie. Alex repasse avec un journal. Je ne sais pas où il l'a trouvé. Il est toujours avec cet ami.
Thomas arrive aussi avec Ninon. Il lui a certainement expliqué les œuvres exposées.
Il fait ça bien toujours. Il avait été médiateur à La Criée avant moi. C'était un des jobs étudiants pour les rennais. Surveiller et expliquer les expositions de La Criée pendant les week-ends.
Ensuite, on s'est revus par le biais d'une amie, Marie. Elle habite maintenant en Espagne.
En Andalousie il me semble.
Quand on était venus visiter l'espace d'exposition. On avait beaucoup rit avec Alexandre. On essayait d'ouvrir toutes les portes, on avait ouvert une petite grille qui se trouve juste devant son œuvre maintenant.
Elle donne sur une sorte de tunnel. Un petit tunnel. On avait imaginé une projection où il faudrait se contorsionner pour regarder la video.
Je n'arrive pas à savoir qui sont les gens qui vivent dans les immeubles de cette cour. Il a toutes sortes de gens qui passent.
Des jeunes, mais pas que. Peut-être qu'il y a toutes sortes d'appartements aussi.
J'aime bien visiter des appartements, voir comment les gens décorent et agencent leurs maisons.
On avait imaginé un projet Anna et moi, sur les façons d'habiter un espace. De faire d'un lieu, son chez soi.
« mon chez moi » je ne dis jamais ça. On entend parfois cette expression. Je ne sais pas bien où. Dans des films peut-être ou alors souvent, des parents disent ça à leurs enfants.
Non, je ne crois pas, ce serait bizarre. « Notre chez nous » ? c'est bizarre aussi.
Alexandre me propose un truc à grignoter. C'est gentil. Mais je pense avoir suffisamment de temps à la fin de cette performance pour manger quelque chose et repartir au Palais de Tokyo. Est-ce que ça donne l'impression que je profite de ce moment pour faire de la publicité ? Ce n'est pas tellement le but.
J'entend Reynald dire qu'à partir de 19h, il faut avoir le code pour entrer.
Il est 19h.
Sinon, on reste entre nous.
Je n'osais pas tellement demander à Annabel si elle était d'origine latino-américaine. Elle dit qu'elle est du Venezuela. Mais elle a l'air très française dans sa façon de parler.
C'est vrai que l'Argentine, c'est très européen. Et en même temps, les Argentins disent tellement que c'est très européen, qu'on repère tout de suite les différences. Pas tellement dans le paysage. Plutôt dans la façon de vivre, l'organisation de la ville.
La ville est tracée sur un plan quadrillé.
Mais c'est plus compliqué qu'aux Etats-Unis : les rues ne sont pas numérotées. Leurs noms. Elles ont des noms, et il faut s'en souvenir. Mémoriser les rues pour savoir que telle rue est deux rues derrière une autre.
Les numéros des rues se suivent d'une rue à une autre. Ça, c'est facile. Parce que si on veut aller au numéro 1200 d'une rue, et qu'on est sur une parallèle, il suffit d'aller dans cette autre rue et on sera toujours au même numéro.
C'est très pratique.
Annabel parle de la lumière, l'éclairage de ses photographies. Elle a préféré enlever un peu de lumière que laisser des spots qui ne lui convenaient pas. Juliette lui dit qu'elle trouve qu'on ne voit pas très bien.
Juliette dit qu'elle n'a pas dit ça.
Je n'aime pas faire dire des choses que les gens n'ont pas dites.
Ma grand-mère faisait ça. Et même, elle me racontait des événements, ou des choses que j'aurais faites quand j'étais petite. Et qui ne s'étaient jamais produites.
Elle faisait ça avec beaucoup de gens. Leur faire dire des choses, inventer des choses.
Elle avait fabriqué pour elle même plusieurs personnages.
Une fois, ma mère a dit a des connaissances, dans un théâtre, que j'étais fatiguée pour pouvoir partir plus tôt. Je m'en souviens encore. Je n'étais pas complice.
Je crois que je lui ai dit après. Je ne pense pas l'avoir signalé sur le fait.
Ce week end, elle vient dormir chez moi. Elle ronfle alors j'ai peur de mal dormir.
J'aime bien dormir toute seule. Mon chat ronfle aussi.
J'ai eu cette discussion le week end dernier avec Alex et Marie. On parlait de nos relations amoureuses et du confort de pouvoir dormir seul.
Brieg est retourné jouer de sa pièce. J'aimerais bien voir le mécanisme en dessous.
Mais il faudrait démonter la table. Je vais essayer d'être là pour le démontage.
J'écris toujours à la même allure. Je pourrais presque faire des estimations par avance du nombre de pages que je vais écrire. Mais c'est un peu absurde.
Ce matin, ma mère m'a dit qu'elle recevait une newsletter de Becquet. En prononçant « Beckett ». J'ai trouvé ça très drôle de recevoir une newsletter de Beckett.
J'ai eu envie de relire les textes que j'ai de lui.
Mais la conversation portait sur le linge de maison. Elle aimait bien des taies d'oreiller que j'ai achetées à La Redoute.
Elle se soucie beaucoup des dépenses que je fais.
J'ai vu Damien arriver, mais je vois que son ami connait Delphine. Alors je me demande s'il a été au courant par ma newsletter ou par un autre biais.
Il n'est pas sur facebook. C'est un peu ça qui m'a poussée à faire une newsletter. Mais je n'en fais que quand j'ai plusieurs choses à annoncer.
C'est bête parce que peut-être que l'information est plus confuse quand il y a beaucoup de choses. Et puis, même les événements indépendants, ou ponctuels mériteraient d'être communiqués.
Mais je ne sais pas faire de liste d'envoi. Alors à chaque fois, je dois penser aux personnes une par une. Ajouter leurs mails. Et j'en oublie toujours.
Ce mois-ci, j'ai repris la liste de la dernière newsletter que j'avais envoyée. Mais j'ai encore oublié des gens. Alors je leur ai envoyé le même mail quelques jours plus tard.
J'espère qu'ils ne s'en sont pas aperçu.
J'avais demandé à un ami de passer, je voulais lui donner une invitation pour le festival du Palais de Tokyo, mais je suis un peu inquiète parce que je ne le vois pas arriver.
Peut-être qu'il ne vient pas finalement.
Dans ce cas, j'aurais une invitation en trop.
J'avais hésité à organiser une sorte de jeu-concours sur ma page pour gagner l'invitation ou le pass 3 jours. Mais ça m'a paru compliqué.
Il aurait fallu réfléchir à l'objet du concours, et puis ensuite, donner rendez-vous à cette personne, pour qu'elle récupère l'invitation.
Ce n'est pas si compliqué, mais il faut s'organiser.
Qu'est-ce que j'aurais pu lancer comme défi ? Me raconter une histoire, ou alors une blague, non... peut-être un concours de... rien ne me vient à l'esprit.
Je me demande si les gens qui me disent bonjour en entrant, pensent que je suis une secrétaire. Ou alors une dactylo qui se serait trompée de lieu.
Pendant la première performance de ce genre que j'ai faite. On m'a demandé si j'étais dactylo.
Ah non, c'était un visiteur qui me demandait si j'étais là pour retranscrire tout ce qu'il se passait dans le lieu. J'ai trouvé ça un peu vexant.
Mais c'était surtout sa façon de le dire. Parce que maintenant, je ne trouve pas ça si grave.
Je suis toujours surprise par l'heure qui passe.