Lord of the flies, 2013
Exposition personnelle à la galerie Maïa Muller, Rue Chapon, Paris. Septembre 2013
Noir et blanc, comme un moment de suspension avant le déferlement de la horde sauvage. Noir et blanc,
comme un dépouillement — voire un écorchement — et, sous la pellicule presque entièrement disparue des
couleurs, un grouillement effarant, infâme.
Telle se présente l’exposition d’Arnaud Rochard dont le titre, celui du livre de William Golding, ne laisse
aucune ambiguïté sur la façon dont il convient d’interpréter les oeuvres, visions brutales, mystérieuses,
sanguinaires et macabres, d’un univers d’où ont reflué les règles fragiles qui ont un jour composé une
civilisation.
Les signes distinctifs de la noirceur sont là : têtes de mort, chauves-souris, toiles d’araignées, crânes, bêtes
apocalyptiques, boucs sataniques. Rien d’inédit dans ces motifs, mais un vertige d’époques et de lieux qui
viennent se précipiter ici. L’artiste avoue son attrait pour les univers post-catastrophiques (voir ainsi Gummo,
d’Harmony Korine ou La Route, de Cormac McCarthy), ainsi que des sources visuelles aussi diverses que la
bande-dessinée psychédélique ou d’anciennes planches de botanique. D’autres références plongent leurs
racines dans l’histoire de la gravure, de Schongauer au Romantisme noir.
La place de cette technique, dans le travail de l’artiste, doit être soulignée. Celui-ci, en effet, en pratique
diverses formes — gravure sur bois, aquatinte, eau forte —, réalise aussi des dessins à la plume — qui,
comme la gravure, permettent un haut degré de précision ; il expose enfin de puissantes planches de bois
gravées, dans lesquelles il creuse ses dessins avec rage, vigueur et acharnement, comme s’il soulevait des
pans entiers d’écorce pour révéler ce qui se cache, en dessous, de cru et de sauvage.
La technique, minutieuse, acérée, garantit le potentiel de déchaînement chaotique de son oeuvre. Elle pousse
la représentation jusqu’à la menacer d’instabilité. Plus il y a de motifs accumulés et plus la matière se fait
dense, chargée, explosive.
Cette façon de graver le bois a quelque chose de chamanique, comme s’il s’agissait d’y faire contenir toute
la violence possible. On y perçoit la réminiscence de gestes anciens, telle la fabrique d’ex-voto chargés
d’éloigner un mal. A moins que ce ne soient les planches d’un grimoire renfermant dans sa matière la
mémoire encore chaude et fébrile d’un savoir obscur.
Anne Malherbe 2013