J'avais le sentiment à cette époque-là, que le monde était saturé d'images et qu'il n'y avait aucun intérêt à en fabriquer de nouvelles... Il me semblait que le travail de l'artiste était cela, prendre les images qui existaient déjà et les agencer pour faire apparaître des sens nouveaux... Ma stratégie était une sorte de guérilla sémiotique : capturer des images et les retourner contre elles-mêmes.
Victor Burgin
Il y a toujours des histoires chez Sarah Penanhoat. Diplômée de l’École européenne supérieure d’art de Bretagne en 2018, l’artiste pose au fondement de sa démarche le constant souci d’une production raisonnée ; pour advenir, chacune de ses œuvres aura passé l’épreuve de la remise en question et démontré sa pertinence, aux termes d’un conséquent travail de documentation. À l’origine de cette volonté assumée de ne pas « produire pour produire », se loge le déclenchement provoqué par une citation de l’artiste conceptuel et théoricien Victor Burgin, héritière de la devise hueblerienne, et la leçon retenue de l’impératif de création de significations inédites, via l’opération stratégique d’un retournement de l’existant. Frayant dans ce monde « saturé d’images », Sarah Penanhoat développe une pratique plastique essentiellement sculpturale et graphique maniant l’entremêlement de sources, proches ou lointaines, sans jamais craindre l’anachronisme. Reliant époques et contextes, elle tisse des récits à partir de souvenirs intimes comme de grandes références culturelles (littéraires, artistiques, historiques), ouvre des espaces narratifs où des rencontres se formalisent. En toile de fond, il est souvent question des origines, voire, selon ses mots, de « la plénitude d’un âge d’or ».
Face à ses œuvres, l’on pense volontiers à la merveilleuse complexité de la nostalgie, ce sentiment qui met « en rapport l’espace et le temps » tel qu’a pu le formuler la philosophe et helléniste Barbara Cassin. Incarnation contemporaine de « celle qui marche en avant », sa Gradiva Vicies (2018) rejoue l’apparition proche de l’hallucination de la nouvelle de Wilhelm Jensen. La citation du passage furtif de l’être aimée se dévoile au sein d’un espace ouvert qui participe de la mise en scène d’ensemble en permettant au visiteur de faire l’expérience de sa propre projection fantasmatique. De la résurgence d’un musée archéologique local dans Unatrium (2018) à l’évocation des larmes de crocodile versées lors du chagrin amoureux à travers Et il n’en restera qu’un (2018), un passé propre est recomposé. Une uchronie, peut-être ? Le travail de la terre, auquel elle a été initiée dans son enfance par sa grand-mère, apparait comme une manière de renouer avec la matière et le fait-main, le geste étant également convoqué dans des œuvres dessinées, tout en linéarité, et brodées (Sans titre, 2016-2020). En 2020, Les Géant.e.s, un projet mené dans le cadre d’une résidence en milieu scolaire avec les Ateliers Médicis, a été pour Sarah Penanhoat l’occasion d’approfondir son approche de la céramique, tout en marquant plus fortement l’importance de la dimension collaborative dans sa pratique.
Marie Chênel, décembre 2020.