Babypainting II, 2023
Installation et édition performée
Le 1 septembre 2023, Fabienne Guilbert Burgoa, me confie l’une de ses toiles pour le mois. Je m’occuppe une nouvelle fois d’une peinture. Plus confiant que la première fois je me prépare à ce voyage, je suis prêt à dialoguer avec la peinture ! Cependant la peinture romancière de sa propre histoire me prépare elle aussi quelques surprises...
BABYPAINTING II est un récit qui s'inclue dans ma série Babypainting. C'est à la fois une édition, une installation et une lecture performé de l’édition dans l’installation.
Ce volet à été réalisé et exposé dans le cadre de ma résidence à la Maison D'en Face en 2023
Crédit photo : Maxime Callen
Extrait du texte de l'édition :
Je vais à vélo rejoindre Fabienne dans son atelier pour récupérer une de ses peintures. La deuxième édition de Babypainting est sur le point de débuter ! Cette fois-ci c’est différent, c’est moi qui suis à l’initiative de cette garde. Je n’ai pas réussi à rentrer en contact avec la peinture la dernière fois, cette expérience sera tout autre, j’en suis convaincu. Depuis mon premier babypainting, il s’en est passé des choses. J’ai roulé ma bosse dans les expositions. Je suis devenu un artiste accompli que l’on invite sur divers projets. Je ne suis toujours pas peintre, mais oui,on peut quand même dire que je suis passé aux choses sérieuses.
Je pédale rapidement sur mon vélo de ville pour retrouver au plus vite cette toile qui bientôt n’aura plus de secret pour moi et qui m’ouvrira peut-être les portes de la peinture.
Dans son atelier Fabienne m’attend avec une peinture d’environ 1m sur 1m20, couleur violette et vert d’eau. On y devine 2 chaises qui tentent de se faire un bisous. Fabienne me dit que ce sont des chaises amoureuses. Elle me montre aussi des bretelles au dos de la peinture.
C’est une peinture portable.
Je savais bien que je finirai par tomber sur des peintures dissidentes, des peintures qui flirtent avec d’autres formes, mais je ne m’y attendais pas si vite. Pas dès le deuxième babypainting. Pour babypainting 4 ou 5, oui, mais pour le numéro 2 ? N’est-ce pas prématuré ?
Je m’embarque tout de même là dedans. Trop tard pour faire demi tour. On roule la toile autour d’un tuyau jaune et je repars chez moi, la peinture sous le bras.
Le lendemain, je prépare mon sac, j’explique à la peinture qu’on va dans le Doubs, que c’est une résidence artistique, qu’il y aura d’autres artistes et sûrement d’autres peintures. L’occasion de se faire des ami.es. J’ai plein de choses à préparer et puis je ne veux pas trop la brusquer, alors je la laisse roulée dans son coin
3 septembre : Jour du drame
13h la personne du blablacar annule le trajet car je suis trop chargé. C’est la première fois que je suis viré d’un covoiturage. La peinture de fabienne serait-elle de trop ? La conductrice voudrait-elle dire que le poids de la peinture est un lourd fardeau ?
13h10 les train sont trop chers
13h15 je ne me démonte pas, je réserve un bus au départ de Aix en Provence à 0h20.
14h Sur la terrasse du bar d’où je me remet de mon échec, j’assiste à une scène violente de bagarre entre un homme avec une batte et un autre avec un énorme pavé. Tous deux armés se jaugent, se toisent, se menacent jusqu’à ce que l’homme au pavé jette son projectile sur l’autre. L’homme à la batte, ayant une arme plus adaptée pour cette confrontation, bondit sur l’homme maintenant désarmé.
Sonné par la fatigue et la sidération, je n’intervient pas. Heureusement des personnes plus actives que moi se lèvent pour secourir l’homme ensanglanté au sol.
15h Je porte toutes les affaires en sens inverse pour rentrer dans mon appartement.
16h je raconte mes mésaventures à mes nouveaux colocataires. Je renverse mon café.
22h30 Je vais à la gare prendre un bus. Marseille - Aix. Il est en retard. Un homme gonfle des ballons avec son sac puis aspire son contenant par la bouche. Il hurle de rire ensuite.
23h30 Il y a 2 gares routières à Aix. Je me situe évidemment à la mauvaise gare. je prends mes affaires pour me déplacer vers l’autre gare.
J’appelle la compagnie de bus, la gare Marseille saint charles où je pense l’avoir oublié. On va vérifier si elle n’est pas encore sur les quais. La gare est évidemment fermée.
C'est à ce moment précis que
je me rends compte que je n’ai plus la peinture.
La panique monte tout le long de mon corps, fait s’entrechoquer tous mes organes et me serre la gorge.
Ce n’est pas possible !
j’ai perdu la peinture de Fabienne.
Je n’ai plus de peinture
mon projet tombe à l’eau
Je n’ai pas su garder une peinture
Dès le premier jour elle m’échappe
J’ai envie de disparaître dans la nature
loin de tout et ne jamais revenir
C’est peut-être ce que la peinture voulait aussi.
Disparaître seule et loin.
Je ne sais pas où elle est maintenant.
J’ai envoyé un mail aux objets trouvés de la gare sncf
Un échec professionnel amène souvent à un licenciement. Parfois à des poursuites judiciaires. Malheureusement, je n’ai personne pour me licencier. Fabienne me demandera peut-être un dédommagement financier mais ne me traînera certainement pas devant la justice. Le pire qui pourrait arriver est qu’elle ne m’adresse plus jamais la parole si ce n’est pour me lancer des sorts lorsque par un funeste hasard nous nous croiserons. Mais cela tient plus du personnel que du professionnel. Par souci de professionnalisme, j’avais préparé, en amont du projet, une convention pour encadrer légalement cette garde. Fabienne avait refusé estimant que le projet était une collaboration entre artistes ne nécessitant pas de s’enfermer dans le regard insidieux de la loi.
J’espère qu’elle n’est pas déçue du voyage ! Notre collaboration tient plus du Erased DeKooning que des mains libres de Man ray et Paul Eluard.
Pas de procès ni de licenciement à priori. Je ne sais pas comment gérer cet échec professionnel. La troisième issue à l’échec professionnel est l’abandon de poste. Je pourrais descendre du bus, à Besançon par exemple, c’est très sympa paraît-il, ne jamais aller à la résidence et abandonner ma carrière artistique.
Peut-on arrêter d’être artiste ?