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Documentation d'artistes diplômés de l'EESAB, 2015 - 2021

Yann Larmor

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Yann Larmor développe une oeuvre abstraite auto-référencée caractérisée par une palette criarde et des enchevêtrements de formes colorées. L’usage de couleurs fluorescentes, synonymes de frivolité, d’avertissement et d’excès, est motivé par une volonté de capter l’attention, cette ressource rare faisant l’objet de toutes les convoitises à l’heure de la surcharge d'information. 

L’artiste envisage chaque tableau en relation avec tous ceux qui l’ont précédé. Une peinture abstraite de 2016 marque l’acte de naissance de son oeuvre ou suite picturale où chaque tableau s’inspire du précédent et en déplie les articulations. L’artiste rechigne pour cette raison à parler de ces toiles au pluriel. Il préfère évoquer une seule et unique peinture : une peinture-vie, évoluant sans cesse comme un organisme vivant.

Lorsque Yann Larmor peint, il met scrupuleusement de côté ses affects, chaque toile étant une irruption purement visuelle. Sa peinture ne renvoie donc pas tant à une forme ou un propos qu’au geste l’ayant engendré : au mouvement, à la force et à l’intensité projeté par le peintre sur la toile. Chaque tracé, couleur, dimension ou transparence parle pour il.elle même et a vocation à libérer le potentiel dynamique de la toile. 

Yann Larmor envisage la peinture avant tout comme un rapport physique et tangible avec la matière : elle est le fruit de longues heures dans un atelier à explorer le territoire qui lui est propre. L’artiste se confronte ainsi systématiquement à la question du tableau dans sa matérialité et son économie, notamment en achetant du tissu bon marché et en l’agrafant lui-même à ses châssis.

Texte de Julie Ackermann, 2020

 



Une peinture rétinienne

J’utilise principalement des couleurs vives et fluorescentes, c'est une peinture rétinienne, « violement rétinienne », que je communique au le réel. Je le fais sans volonté de faire spectacle, je marque simplement une pause dans l'espace où je m'inscris.
Mon travail est toujours généreux, comme par nécessité. Car la peinture ne peut plus se contenter d'affirmer une posture morale qui tourne à vide, ou de bons sentiments. La peinture doit offrir, se mettre au service du réel.

Entrelacements & matérialité

Entrelacements : cela se réfère à la fois au mode de production de ma peinture et à l’aspect formel qu’elle prend. Il n’y a pas que
l’entrelacement, je pourrais ajouter la superposition et la teinture.
C’est la manière concrète dont j’exécute mes peintures qui influence ma méthode. "Une temporalité longue", c’est en ces
termes que je qualifie souvent ma pratique, cette formule exprime une pratique assidue de l’atelier, forcément en partie auto-centrée, qui demande du temps de maturation. En calquant cette pensée sur les gestes que j’effectue, je précise ainsi : entrelacements, superpositions, teinture. Entrelacement des différents tableaux, lié par un fils conducteur qui est loin d’être linéaire. Superposition des tableaux, accumulation des couches plutôt qu’évolution continue. Teinture, la pratique pénétre peu à peu, l’échange de matière par capilarité. Ce sont des procédures régulières dans mon travail mais elles ne sont pas élevées au rang de protocole. Déjà il y a les matériaux, ensuite la fabrication du tableau d’une certaine manière. Cela fait partie du travail artistique, fabriquer l’objet, non pas que je fabrique chaque aspect du tableau (chassis, toile, agrafes) mais je prends en compte fortement d’où ils viennent, comment je me les procurent.
Ce circuit d’assemblage, de construction du tableau n’est pas anodin, il est le fruit d’une discipline concrète. Le tissu est le moins cher au mètre, deux euros le mètre à Ikea, où je peux moi-même le découper à partir de grands rouleaux. Un tissu abordable en opposition à une toile en lin apprétée. Agrafer, désagrafer, chaque geste est construction et démontage, le tissu devient teinté et se fait pénétrer de peinture, se durcit, de son côté l’agrafe plantée dans le bois se fait tordre et est extraite. Un circuit soigneusement maitrisé se crée. Presque cérémonial.

Qu'est ce que la peinture transmet au monde?

Il est bien incommode pour un peintre qui produit des formes que chacun aura tendance à qualifier instinctivement d’abstraites de se détacher de l'opposition abstrait/figuratif. Je conçoit qu’il est utile à beaucoup de peintres d’évacuer cette opposition qui a construit la peinture pendant des décennies. Pour moi, bien que je ne renie pas le terme "abstrait", la question n'est pas là, car ce qui importe avec ces tableaux appelés "abstraits" c'est la question de ce que l’on transmet au monde, au réel. Je refuse d’utiliser la toile comme une page blanche pour étaler mes ressentis. Le sujet n’est pas directement perceptible, la représentation est évacuée, il reste quand même tout le reste de la peinture, une énergie, des couleurs, des gestes, la composition, le rapport au support, le rapport au lieu d’accrochage, etc.

Douceur et résistance, une peinture sans enjeux

A la fois cheminement matériel de la peinture et tentative de  positionnement de l'artiste dans le monde réel, je tente de produire une peinture sans enjeux. Car l’enjeu est ailleurs, sûrement dans la lutte collective pour l’émancipation de toutes et tous.