WAT FOR GRENZ ? / QUELLE FRONTIERE ?
livre de 240 pages, 400 exemplaires, publié aux éditions du Castel
Produit dans le cadre de la résidence d'écriture du CASTEL COUCOU, à Forbache en 2018
A Forbach, début janvier 2018 Janek meurt d’une rupture d’anévrisme. Son fils Aloys Schwartz, critique d’art et essayiste plus ou moins reconnu, rentre de Paris pour assister sa mère. Il re-découvre un territoire trop petit pour être une ville mais trop grand pour un village et, à l’occasion du rangement des archives de son père, un passé plus riche qu’il n’aurait pu y paraître.
Je n’aime pas la pluie. Pas toutes les pluies bien sûr, je ne suis pas du genre fermé d’esprit qui se renfrognerait pour un crachin de printemps ou pour une petite rosée d’été. Je n’aime pas la pluie faite de grosses gouttes traîtresses et glacées, celle qui cherche à se frayer un chemin dans les mailles de mon pull pour atteindre ma peau et la geler instantanément. Cette pluie-là, je m’en méfie, elle me déplaît. C’est une pluie de janvier qui n’existe que par ici et qui a tendance à sévir pendant de longues journées. Il faut savoir s’y prendre avec elle et négocier quelques éclaircies pour avoir un peu de répit.
Je n’aime pas l’humidité, froide ou chaude. Il paraît qu’à l’autre bout du globe on peut vivre pendant plusieurs mois dans une chaleur avoisinant les 30 degrés et avec une chemise trempée par la mousson, je ne pense pas que ce soit mieux ou pire ici. Chez nous l’humidité est froide, elle engourdit les mâchoires, de la buée sort de nos bouches, de nos narines et elle fait craquer les os le matin dans un petit bruit qui, bizarrement lui, reste plutôt sec.
Je n’aime pas le bruit non plus, celui des trains tout particulièrement et de toutes sortes de mécaniques en général. Je n’aime pas les généralités mais je dois dire que rien ne me déprime plus que de me savoir dans un endroit où le bruit, le froid et l’humidité se mettent ensemble pour créer une sorte de concert mécanique morose et quelque peu déprimant. Heureusement ici, si l’extérieur est rude, les intérieurs, eux, sont chaleureux et les cuisines regorgent de victuailles en tousgenres. Mais moi, je n’aime pas les cuisines trop riches faites d’abats de viandes et de morceaux d’os à moëlle glougloutant dans de lourdes cocottes en fonte. Je n’aime pas non plus les sons gutturaux, les raclements de gorge, les reniflements et les langues qui claquent en bouche sur de lourds glaviots blancs. Je n’aime pas les vieux, les penchés, les ralentis, les hésitants, les flâneurs, les qui prennent leur temps, les bigotes, les athées résolus, les jeunes arrogants, les filles trop belles et les garçons propres sur eux. Je n’aime pas vraiment tout ce qui est convaincu ou cherche à être convaincant. Mais n’allez pas quitter ces lignes et jeter ce livre en arrière en vous disant :
« Ah, c’est bien le genre d’Aloys Schwartz ! Il nous bassine avec ses histoires à la première personne dans lesquelles les personnages secondaires ne sont qu’un prétexte à mettre en avant son petit égo ! Il est marrant, il pense peut-être que c’est avec ce genre de diatribe qu’il va nous retenir la cornée et l’attention. Il perd la boule et une fois de plus pour changer : il est encore en train de se plaindre ! Comme si on avait que ça à faire de perdre notre temps, et notre vue, à se fatiguer de ce genre de poncifs battus et rebattus sur le pays.».
Vous jetteriez alors loin de vous ce petit bouquin de rien du tout et vous iriez faire ce que bon vous semble. Je puis vous assurer que vous ne feriez pas une bonne affaire. Car je n’ai pas toujours été ce genre de garçon, j’ai même, comme qui dirait, eu une jeunesse douce et un organisme plutôt bien portant.