Quand j’étais enfant et que les températures baissaient, j’espérais trouver au lever du jour dans le jardin la manne des Hébreux : « Au matin, il y eut une couche de rosée autour du camp. Quand cette rosée fut dissipée, il y avait à la surface du désert quelque chose de menu comme des grains, quelque chose de menu comme la gelée blanche sur la terre. » Plus tard, en ouvrant la porte du congélateur familial, je retrouvais cette même texture rêvée sur les steaks hachés, quelque chose de croustillant et de fragile, susceptible de disparaître sous mes doigts nécessairement trop chauds.
Je ne sais si la comparaison, du plus trivial – le mystérieux steak haché recouvert de givre – au plus divin – la providentielle manne – siéra à Chloé Jeanne. Mais ses Habitants de la mer Morte (2016) m’évoquent ces deux représentations marquantes, la métamorphose d’un objet aussi quotidien qu’une éponge de cuisine en une lapidification nervurée, précieuse en apparence comme peut l’être une simple branche déposée sous la cascade d’une fontaine pétrifiante. La mollesse spongieuse se meut en dureté, tandis que le verre se comporte comme une goutte qui se refuse à éclater sur la surface lisse d’une toile cirée. Légère inversion, mais ne dit-on pas que dans la mer Morte, les gravités se déplacent ?
Texte de Camille Paulhan