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Documentation d'artistes diplômés de l'EESAB, 2015 - 2021

Vincent Lorgeré

MÀJ 21-01-2022

Portail, 2018

Grille orange, fer à béton, agrafes, 6x4mx50cm

Texte Alexandre Dupont - Doctorant en esthétique et humanité numérique

Exploration - Territoire - Déplacement

Soulignant un intérêt pour les environnements forestiers, initié par l’installation Une vibration en forêt présentée à l’occasion de l’exposition collective Lisières à la Galerie de l’artothèque de Vitré en 2015, le bois de Kerbescont s’impose rapidement comme un espace de travail privilégié. Malgré quelques intentions d’élaborer une suite à ce travail, le repérage opère progressivement une transformation. Anticipé par un recours au mode de représentation spatiale que constitue la carte, la quête d’un motif de quadrillage « naturel » évolue rapidement pour s’adapter aux configurations des bois alentours. Bientôt, le repérage devient exploration. Le territoire est alors objet de découvertes dont l’artiste s’attache à explorer le potentiel afin d’y développer un imaginaire. La résidence permettant d’établir une durée et de façonner un quotidien, l’exploration participe à la construction progressive d’une fiction spatiale consistant à inventer le territoire. Le portail est à ce titre particulièrement significatif. Partant d’un sillon creusé et traversé d’arbres aux positions les plus irrégulières que bancales sur le tracé d’un chemin de randonnée au coeur du bois de Kerbescont, Vincent Lorgeré imagine un portail dont l’engagement y est incertain. La topographie du lieu offrant peu de visibilité une fois sur l’étroit passage, elle permet alors la conception d’une installation de grande dimension qui agit tel un piège sur les quelques marcheurs printaniers, qui se voient opposés un grillage haut de quatre mètre et obstruant toute la largeur du sillon. Le chemin de randonnée devient une zone de non-retour et l’artiste, qui guette en surplomb à l’abri des regards, un chasseur concepteur de pièges. Une tromperie opérant également de l’effet de moiré, provoqué par les halos lumineux et la respiration du vent qui traversent les perforations de la grille orangée et perçu par le mouvement des marcheurs, à la manière d’une installation cinétique in situ. Pour Vincent Lorgeré, deux références importantes accompagnent cette installation. La première est une illustration de Michel de Roisin intitulée Mammouth tombant dans une fosse dissimulée par des branchages. Ce poster issu de la série documentaire Homme préhistorique, cet inconnu datant de 1966, représente une scène de chasse qui évoque à la fois l’usage de l’illusion mais également de manière plus formelle, l’agencement menaçant et dangereux des arbres. La seconde référence renvoie directement à la dimension topographique du lieu. En effet, l’exploration du bois fut l’occasion de penser l’installation selon le fonctionnement d’un éditeur de modèles 3D. Manipulables sur certains jeux vidéo, ces éditeurs permettent de créer des espaces et des environnements de jeu personnalisés en assemblant des formes et des modèles. Ainsi, dans son étude préparatoire, le sillon forestier fut associé à ce que l’on pourrait nommer un « espace fantôme », c’est-à-dire un modèle pré-déterminé dont l’action validante du joueur vient y apposer sa forme et sa texture finale. L’installation du Portail peut-être apparentée à cette idée selon laquelle l’action de l’artiste vient remplir un vide ou « texturer » un territoire déjà là.Les semaines en résidence passées à Rostrenen par Vincent Lorgeré au cours du mois d’avril 2018 s’inscrivent dans une première réflexion, celle de l’interaction entre des artistes et les territoires au sein desquels ils travaillent. Cette vaste perspective, appréhendée comme un cadrage général, s’articule ici plus spécifiquement autour de l’influence du territoire sur les thématiques et approches formelles d’un artiste, tout en participant à interroger dans un mouvement simultané la notion même de territorialité. Parmi les pistes formulées et développées par Vincent Lorgeré, la recherche artistique conduite durant la résidence semble se structurer à travers trois notions fortes : exploration, territoire, déplacement.

Au regard des objets produits autour de ce projet de recherche, il est intéressant de d’observer le déplacement opéré par Vincent Lorgeré. Parti d’une volonté de donner suite à Une vibration en forêt en travaillant sur une nouvelle installation, l’exploration du territoire façonnant progressivement un imaginaire donne forme à des réalisations variées qui s’attachent à le faire exister. Qu’il s’agisse de produire une documentation audiovisuelle et photographique du dispositif à l’oeuvre, d’écrire un texte narrant un dialogue entre deux colosses (Mordre comme Bête, 2018) ou dans l’élaboration et la confection de vestiges archéologiques fantasmés, cette interaction avec le territoire offre une ouverture et une influence sur le langage plastique même de la création.