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Documentation d'artistes diplômés de l'EESAB, 2015 - 2021

Thomas Vivion

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Je peins et dessine un monde que je construis à partir d’histoires étranges que je me raconte. Ces récits et ces peintures s’enrichissent mutuellement et sont le moteur même de l’acte de peindre.

Milieu des années 2000, la série Desperate Housewives est arrivée à la télévision et est devenue un rendez-vous hebdomadaire immanquable. Les maisons magnifiques, les beaux arbustes bien taillés, les jolies couleurs et les brushings parfaits cachaient en réalité des secrets effroyables, des liaisons amoureuses dangereuses, des crimes et des histoires à faire froid dans le dos.

Inspiré par cette esthétique aux couleurs vives et kitsch, je peins des personnages emprisonnés dans un cadre où la peinture se déchaîne. Ils sont les protagonistes d’un monde où la couleur est violente et joue sans cesse avec eux. Ils sont dans des maisons, des jardins, des forêts où ils ne maîtrisent plus rien. Je ne peux m’empêcher de recouvrir, de déformer et de tordre leur environnement jusqu’à ce qu’il m’échappe, jusqu’au moment où ce qui était prévu dérape totalement.




Il y a des mystères que l’on ne s’explique pas, qui peuplent nos quotidiens autant que nos imaginaires, qui nous hantent sans raison apparente : des petits animaux dans une mer de nuages, les manières de Giotto ou de David Lynch, l’apparence du One Piece ou le kitsch d’un clip de P. Diddy au début des années 2000… Partout face à eux : la même fascination, ou presque. Fruits de concours de circonstances, de découvertes aléatoires ou de coups de génies, ces mystères de tous les temps habitent l’esprit et les toiles de Thomas Vivion.
Certains, il est vrai, pourraient aisément être détricotés. Il arrive que des pistes et des indices soient laissés, volontairement ou non, par leurs auteurs. L’histoire de la peinture veut que l’on y reconnaisse des figures à leurs attributs, des morceaux d’histoire à leurs événements, habilement signifiés par un décor, des personnages ou des actions qu’incarnent ce qui n’est au fond qu’un « amas de touches en un certain ordre assemblées », dirait Maurice Denis. Mais ce n’est justement pas tant sur leur fond que sur leur forme que s’arrêtent l’œil et l’esprit de notre peintre. L’artiste en quête d’émerveillement s’est entiché, plus encore que des énigmes, des langages dans lesquels celles-ci s’expriment. Devant les touches, les aplats de matière et les symboles choisis par ceux qui l’ont précédé ; devant les compositions, les sets et les agencements de signes, ses yeux se perdent et ses mains frétillent. Elles tremblent de s’emparer des pinceaux à leur tour pour mieux saisir la vivacité d’une couleur ou la profondeur d’une matière, la subtilité d’un contraste ou la franchise d’une lumière.
Thomas Vivion pense ses tableaux comme un amas de nuages fluos, dans lequel il navigue, à la manière d’un peintre-pilote pris dans un tourbillon de paréidolies. Joyeusement nous y guident des figures aux sourires cyniques, pilotes, sorcières ou magiciens, des monstres ailés aux pattes fourchues, pour révéler peut-être quelque chose mais quoi ? Derrière les rideaux – motif récurrent – s’esquisse la solution de l’énigme : celle de la peinture et de son pouvoir d’illusion ultime. Il y a des mystères que l’on ne s’explique pas, et qu’il vaut peut-être mieux apprécier ainsi.

Texte écrit par Horya Makhlouf à l’invitation de Documents d’Artistes Bretagne pour BASE, janvier 2023