Carte de séjour (BruXelles), 2018
Facs similés de carnets, dessins techniques mixtes, collage et photomontage
Residency permit (Brussels), 2018
Copies of notebooks, mixed media drawings, collages and photomontages
Ce travail a été réalisé en réaction à une expérience de workshop autoritaire inter-écoles (Quimper, Glasgow et Anvers) à Bruxelles en avril 2018.
Organisation hiérarchique et quasi-militaire, absence de communication et de transparence, censure et répression des débats, discutions et alternatives autres que les discours et que le programme institué, attitude moqueuse et infantilisante des organisateurices, constitution de micro-groupes plus ou moins intégrés ou marginaux, privilégiés ou exclus.
Ce récit cartographique et textuel semi-fictif s'inscrit dans le projet d'édition collective "Locality", un recueil d'expériences de workshops réalisés entre 2016 et 2018, par Eimer Birkbeck.
Quand on atteint le seuil où il semble impossible de collaborer, de dialoguer, de transformer, de hacker ou d'affronter car certaines situations sont régies par des rapports de force et de domination qui en sont la base, c'est alors que des tentatives "d'escapology" émergent. Il s'agit de tactiques et stratégies (conscientes, volontaires ou non) d'évitement ou de fuite. Le récit de Zyg est né d'une volonté d'échapper et de s'émanciper d'un cadre oppressif, par le biais de la fiction, du dessin et de la fuite du corps vers "la zone du dehors".
This work was produced in response to an authoritarian inter-school workshop experience (Quimper, Glasgow and Antwerp) in Brussels in April 2018.
Hierarchical and near military organisation, lack of communication and transparency, censorship and repression of debates, discussions and alternatives other than the discourses and the instituted programme, mocking and infantilising attitude of the organisers, constitution of micro-groups more or less integrated or marginal, privileged or excluded.
This semi-fictional cartographic and textual narrative is part of the collective publishing project 'Locality', a collection of workshop experiences carried out between 2016 and 2018 by Eimer Birkbeck.
When we reach the threshold where it seems impossible to collaborate, dialogue, transform, hack or confront, because certain situations are governed by the relationships of power and domination that underpin them, it is then that 'escapology' attempts emerge. These are tactics and strategies (conscious, voluntary or otherwise) of avoidance or escape. Zyg's narrative is born of a desire to escape and emancipate themselves from an oppressive framework, through fiction, drawing and also their body to the "outside zone".
Carnets de Zyg, BruXelles, avril 2018
"C'était en avril, le froid mordait mon corps endolori par le long hiver pluvieux. BruXelles s'animait tout juste ce matin comme si la ville se réveillait en même temps que nous. Peut-être était-elle ainsi tous les jours, mais nous ne pouvions ni le savoir ni le remarquer car nous arrivions tout juste de trois localités différentes dans le but de travailler ensemble. Pour l'heure, nous étions des étranger.e.s mais je reconnaissais déjà le groupe grâce à leurs tenues typiques d'artistes.
Nous marchions en file indienne vers je ne sais quel rendez-vous. J'avais la face criarde jaune et rouge, les poings gelés dans mes poches et les œillères des immeubles me cernaient la vue. La situation participait à notre attitude. Il fallait marcher vite.
-Tu sais où on va ?
Mon voisin portait des chaussures branchées qui l’élançaient et ses yeux étaient obstinément fixés sur le dos du marcheur devant. Il se tourna vers moi et me jaugea silencieusement l'espace d'une seconde.
-Tu n'as pas lu le programme ? Tout est écrit dedans, répondit-il enfin avec dédain.
Honteusement, je consultai mes mails, mais je n'avais rien reçu. Quand je levai les yeux, mon voisin m'avait distancé.e pour rattraper les autres et je me retrouvais seul.e au milieu du groupe qui avançait."
"Dans ce quartier de la ville, les bâtiments typiquement européens se tenaient rigides et fiers. Nous traversions un parc de végétaux ordonnés comme un cimetière militaire. Je sentais ma peau se verdir au fur et à mesure que nous approchions du Musée de l'Europe.
À peine les portes automatiques se furent-elles refermées que je rejoignais directement la Référente pour la questionner à propos du programme, mais elle sourit doucement en réponse en mettant un doigt sur sa bouche rose. « Elle n'a certainement pas senti le glissement s'opérer quand le souci d'organiser lui a pris la tête entière. Le projet est devenu trop personnel et voilà où on en est », pensai-je. Au même moment, une guide attaqua son speech. Le groupe suivit la guide jusqu'à une pièce sans fenêtre. Alors que je me tenais sur le seuil, je fis demi-tour subitement. J'eus juste le temps de voir un diaporama éclairer les yeux de mes camarades avant d'entrer dans un espace parallèle.
L'exposition commençait dans la pénombre bleue d'une salle et se poursuivait par un couloir aux murs lie de vin, puis une galerie de vitrines oranges. Le parquet si parfaitement régulier brillait fanfaron. Dans le blanc du premier niveau, les objets et documents étaient alignés dans un ordre chronologique sans aucune possibilité d'activation de mémoire affective. Je cherchais à m'y intéresser mais mon corps ne pensait qu'à s'en détourner, en dépit de mes efforts pour me pencher sur les cartels. Les mots étaient d'abord noirs et, au-dessus, les néons réfléchissaient. À la troisième ligne, une double image de la pièce apparut, avec ses artefacts, malles de livres clos et cartes des premiers colons. À la ligne suivante, un missile avait rougi le champ de ce blockbuster museum. Sous le choc, j'ouvris mes yeux somnolents subitement. Tout était béant.
Je me trouvais alors dans la salle de conférence, like a forest. J'entrai dans une cabine d'interprète. « Quand je parle en anglais, je me sens au milieu de quelque chose ». Là, je ne me situais nulle part et j'avais encore perdu le groupe. Je ne comprenais toujours pas comment accéder au mystérieux programme, et encore moins comment participer. "
"Une fois, nous étions venu.e.s travailler à Elzenhof. Pour mon grand plaisir, la haute maison abritait un jardin plein d'herbes folles et une aire de jeux avec une cabane. C'est un endroit sensible. Cependant, nous ne travaillions pas à cet endroit exactement, mais à l'étage, dans une salle close encombrée de tables et chaises dont la disposition formait un carré d'honneur scolaire qui occupait la pièce entière. Dans un angle, une petite plante poussait en débordant de son pot. Tout le groupe était présent. J'écoutais les mêmes gens, qui étaient à l'aise, échanger dans leur langage insulaire.
Soudain, je ressentis un déséquilibre. Le sol glissait, imperceptiblement. Toute la pièce se balançait dangereusement et je regardais certain.e.s rire de la sensation enivrante de fun park. La Référente et ses ami.e.s jouaient comme si iels étaient sur un manège Tagada tandis que la maison menaçait de basculer et de s'effondrer entièrement. La Référente ne se rendait peut-être pas compte de ce qu'elle faisait. Les murs se contorsionnait, le sol basculait. J'aurais aimé pouvoir dire : restons toustes still et peaceful. « C'est terrible. On est projeté.e dans un groupe compact de gens qui se connaissent, qui ont l'habitude d'évoluer les un.e.s à côté des autres sur un terrain dont iels connaissent les moindres détails, et qui, à peine menacé.e.s dans leurs pratiques, deviennent encore plus compact.e.s, inflexibles et sûr.e.s d'eux-mêmes. C'est vraiment terrible pour nous du dehors. Et on croit dur comme fer que, avec des efforts, nous allons pouvoir nous apprécier mutuellement, nous comprendre et nous rassembler ».
Soudain, sans crier gare, le foyer s'effondra mais je n'étais plus dedans à ce moment. J'en fus très triste. Visiblement, il n'y eut pas de blessé.e. Toustes rirent du drame et iels étaient même empressé.e.s de recommencer."
"Le dernier jour de la semaine, la ville était lourde, mauve, agitée. Le ciel était, comme tous les jours depuis que je l'avais remarqué, zébré des vols d'avions si bas qu'ils menaçaient de nous tomber dessus. Je ne savais toujours rien du programme qui ne se révélait qu'à la condition que je suivisse le groupe. Ce matin, Sofi me pressa de me dépêcher pour rattraper les autres. Je ne répondis pas et partis en direction de la sortie.
-Ça, c'est défendu, tu vas tout manquer ! cria Sofi.
-Je sais, mais j'y vais tout de même parce que j'en ai besoin.
Et sur ces mots, je pris mon sac et partis dans les rues. BruXelles s'étendait fabuleusement et s'ébrouait en gerbes de couleurs saturées, les rues étaient animées, l'air était vif et joyeux, et je marchais sans but précis. Mes pas me menèrent jusqu'à un jardin où je m'allongeais dans l'herbe tendre, entre les tiges et les troncs verts. Je caressais la terre noire et douce. « On est si bien là où c'est défendu »."
c. photos pour l'édition "Locality": Eimer Birkbeck