Simon Lagouche Gueguen est fasciné par les anomalies, les bugs de l’histoire, les anachronismes, les théories scientifiques et mathématiques les plus étranges comme les plus poétiques, la technologie, les croyances et les films de science-fiction. Les liens, les emboîtements et les croisements qu’il tisse entre ces domaines sont à l’origine des scénarios et des fictions qu’il concoit. Simon Lagouche Gueguen met en scène des sculptures, le plus souvent shapés en résine, comme les surfs qu’il réalise à ses heures perdues, qui crée un fort potentiel narratif. L’artiste aime emprunter aux théories scientifiques et à l’histoire des sciences comme à la science-fiction les manières dont l’histoire s’écrit et s’invente. De nombreuses pièces convoquent ainsi les formes de l’uchronie, du voyage dans le temps et de la légende.
Cette dimension littéraire et fictionnelle de ses scénarios peuvent apparaître soit sous la forme de texte accompagnant ses installations, soit en présentation de ses pièces, mais elles peuvent aussi être induite directement par le processus artistique ou la sérialité de certains projets. Ainsi, U.O. (Unidentified Object) initié pour la première fois à New York en 2016, consiste à reproduire en divers endroits du monde des répliques sculpturales d’ovnis. Le design de science-fiction et l’apparition tangible d’un objet qu’il dépose presque clandestinement dans un parc de la ville, jouent avec humour du simulacre, de la peur et des croyances qui hantent nos imaginaires contemporains, pas seulement dans la science-fiction, mais aussi sur le net ou dans les médias. Ce projet augmente en fonction des déplacements de l’artiste, disséminés en plusieurs endroits de la planète, bois, désert de Géorgie ( Nous étions dans le futur ), sur des toits de Berlin ... Il est amené à se déployer pour créer peut-être à terme un vrai buzz.
Le paysage n’est donc pas une simple toile de fond pour Simon Lagouche Gueguen. Il participe des scénarios, il produit une situation où le spectateur découvre un paysage transformé en fiction par les modifications ou ajouts que l’artiste y place. Les vacances d’Ozymandias, installation réalisée en 2019 à l’occasion de l’art dans les lavoirs transforme un ancien lavoir en vestige archéologique d’une légende ancienne qui raconte le voyage du futur Ramsès II en Bretagne.
Le vestige archéologique ou l’envie de faire réapparaître les traces tangibles d’une légende était aussi le principe central de Fenêtre sur l’autel de la court des méditations. Réalisée en 2017 pour le festival de l’Estran, la sculpture convoque les légendes bretonne de la ville d’Ys comme toutes les mythologies de villes englouties par la mer. Récit fluctuant transmis par l’oralité sous la forme de la ritournelle, la légende de la ville d’Ys témoigne de l’obsession que nous cultivons pour des civilisations disparues, leurs technologies extraordinaires et leur destin funeste. La fenêtre représente ainsi le choc qu’une telle découverte pourrait produire aujourd’hui si on retrouvait les ruines d’une civilisation plus anciennes, mais aussi plus avancés du point de vue technologique.
Semblable à une balise flottant en bord de mer, toute en dégradés de bleu, de jaune et de rose comme un levé de soleil sur l’eau, la Fenêtre sur l’autel de la court des méditations est réalisée par superpositions successives de couches de résine. Amarrée au sable, malgré son apparence légère, elle est le résultat d’un véritable tour de force technique. L’artiste a travaillé avec des ingénieurs en polymère afin de concevoir cette sculpture flottante, réagissant aux marées, tout en étant fixe et posée dans le paysage comme une fenêtre ouverte sur un autre monde.
Joëlle Le Saux
historienne de l’art, commissaire d’exposition et enseignante