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Documentation d'artistes diplômés de l'EESAB, 2015 - 2021

Reda Boussella

MÀJ 27-03-2023

Les lézards

Dans le travail de Reda Boussella il n’y a pas de hiérarchie entre peinture, sculpture, vidéo et performance. Il passe aisément d’un médium à l’autre pour donner forme à un univers foisonnant aux tons burlesques et pop, puisant son imaginaire dans la culture populaire. L’artiste joue avec la juxtaposition d’éléments disparates issus de son quotidien, de codes et symboles sociaux pour questionner le regard qu’on porte sur le corps, la représentation de la virilité et du machisme.

Les œuvres présentées au Frac Bretagne explorent l’univers formel des objets d'entraînement des sports de combat afin de pointer, derrière une esthétique teintée d’humour et de joie, les enjeux politiques sous-jacents à leur conception. Que ce soit un punching ball, un makiwara ou une poire, ces objets véhiculent une idée du corps très moderne, invulnérable et dans la plupart des cas masculine. Ce constat a amené Reda Boussella à s'intéresser à des sports de combat qui ne répondent pas à ce modèle comme par exemple le wing chun qui remplace la force, la stature et la résistance par la vitesse, la répétition et la souplesse. C’est le cas par exemple de RAJA/WYDAD, une grande sculpture murale en tissu inspirée de la technique de frappe de sac muraux du wing chun. Sa forme représente deux corps entrelacés dans une lutte, ou peut-être un combat amoureux, et puise son inspiration dans les bas-reliefs de la grèce antique, les fresques de Beni Hassan en Egypte antique ou encore les dessins de sumotori dans la manga d’Hokusai. Au centre de la sculpture, on trouve un petit écran diffusant un dessin animé à l’encre de Chine dans lequel la morsure d’un chien malinois, historiquement lié à la menace et à l’ordre policier, se transforme en une danse tendre et poétique.

Influencées par la pratique de la danse contemporaine de William Forsythe et de Steve Paxton, les sculptures de Reda Boussella font appel au langage visuel des arts martiaux pour en révéler le potentiel de résistance politique.

Texte écrit par Elena Cardin dans le cadre du Prix Art Norac au Frac Bretagne, 2022

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Interview France culture par Arnaud Laporte, 

A Brest, le "cœur Braisé" de Reda Boussella (radiofrance.fr)

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Portrait réalisé dans le cadre des chantiers résidence, soutenue par DDAB et CAC Passerelle, réalisation Margaux Germain

DDAB - Chantiers - Reda Boussella - Cœur Braisé on Vimeo

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Couleurs Brûlantes

L’atmosphère est moite, c’est l’été. Le soleil ramène des couleurs brûlantes sur les images de mon ordinateur de poche, je me demande comment représenter ses rayons sans trahir les émotions, la chaleur qu’il fait circuler à l’intérieur de mon corps?

Les vendeurs de friandises crient dans le fond et interrompent ma pensée. Je sors mes yeux de l’écran et je regarde autour de moi.

Les corps sont échoués, attendant de rejoindre l’eau salée qui nous rendra tous égaux, avec juste nos têtes qui dépassent, pendant qu’elles flottent.

Dans une vidéo animalière sur mon écran, les éléphants de mer gémissent doucement.

Sur la plage la sensation de chaleur se pose sur ma poitrine et ralentit ma respiration.

Je ferme les yeux et je m’imagine en cheval galopant au bord de l’eau, comme dans un film avec des aristocrates anglais. Le soleil descend dans le ciel, je cabre, ma cavalière descend et m’arrache les couilles d’une main pour jouer aux maracas. Sur un air joyeux je rêve que ma tête de cheval est décapitée, quelqu’un s’en empare et tendrement lui fait du bouche à bouche comme pour tenter de me réanimer, une musique d’harmonica s’échappe de l’échange d’air.

J’ouvre les yeux, des regards circulent sur le bronzage et il reflète le désir.

Des images apparaissent juste au-dessus de la mer, des mirages âgés.
L’amour est là, qui va se ramener à la fête ?

Dans un coin, une éponge en short danse avec une étoile de mer en levant les bras .

Une musique stressée sort d’un haut-parleur bluetooth, une voix auto-tunnée aiguë débite des paroles à un rythme effréné.

On ne sait pas si elles font la fête ou une manifestation de plage.

Tout à coup je ne sais plus comment je suis arrivé là, sûrement depuis ma limousine tunnée en carton.

Je ne sais plus comment repartir, le sable a encrassé mon moteur et mon ordinateur, suis-je condamné à rester contempler les mirages ?

Au loin un ferry arrive, il peut me sauver, me faire retourner quelques semaines ou quelques années dans le passé ou le futur.

Il ne faut pas que je le rate, alors je conduis quelques milliers de kilomètres dans ma voiture en carton.

Elle devient ma maison, comme un escargot, tout ce qui est nécessaire est sur le toit.

Sur les routes de l’Espagne je croise d’autres voitures-maisons-escargots, on devient un troupeau, on roule dans le sable et la poussière nous suit.

On s’arrête seulement dans un bateau et on traverse de nuit, la mer est calme, les processus administratifs se compliquent, car on change de continent.

Les étoiles ne nous sont d’aucune aide dans cette mer de papier.

L’attente et la fatigue se combinent et je retourne à mon écran de poche, dedans, c’est toujours les couleurs de l’été.

Théo Robine-Langlois, 2022.
Texte écrit dans le cadre de l'accompagment des Chantiers-Résidence.


 

Les formes sont grotesques. Les couleurs sont franches, éclatantes. La Vénus de Willendorf cohabite avec une saucisse, un félin et des pots de protéines. L’univers un peu (carrément) foutraque de Reda Boussella convoque une foule de références juxtaposées, recontextualisées et noyées dans un bain sémantique absolument délirant à l’image de ce chaos post-moderne post-internet. La pratique de Boussella s’apparente en fait à celle du remix en musique et se nourrit du sens de l’improvisation du jazz. Fragments, bouts et détails s’agglomèrent et se parasitent mutuellement à la manière d’un rêve digérant la réalité du quotidien selon une logique propre. Comme dans un dessin animé, les objets - ballons de rugby, toasts ou pommes de pain - se parent d’une paire de yeux ; les proportions sont extravagantes ; et tout, comme dans un gag, semble se casser joyeusement la figure. Avec cet art brut tout droit sorti des cultures de l’internet - influencé par YouTube et le DIY, Reda Boussella s’amuse avec les métamorphoses des images et reformule l’iconographie - de la plus banale/basse à la plus prestigieuse - avec une approche cartoonesque vouée à transformer le grand spectacle de l’art, du sport et du divertissement en joyeux manège de l’absurde. Il y a un sens du chaos, de la poésie et du rire dans la façon dont le petit monde de Reda Boussella - un théâtre dont on attend qu’il s’anime dès qu’on tourne le regard - joue avec les mondes consacrés que sont l’histoire de l’art et le monde du sport, déconstruit, manipule et moque ses mythes, ses valeurs et ses symboles, à l’instar du culte de la performance en célébrant la chute ou la virilité en mettant en scène une masculinité en difficulté. Reda cherche en réalité à fabriquer ce qu’il appelle des anti-chef d’œuvres, son rapport compulsif à la création accouchant non pas de pièces toisant les spectateurs, mais bien de collections de pièces, formant un jeu de pistes géant burlesque, perdu dans les tréfonds d’une adolescence boutonneuse, drôle et bien compliquée.

Texte écrit par Julie Ackermann à l’invitation de Documents d’Artistes Bretagne pour BASE,  janvier 2022

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L’index pointé vers le ciel d’un joueur de football évoque le Saint Jean-Baptiste de Léonard de Vinci. Dans sa version cartoon-plâtre, JB a été rapidement condamné au banc de touche. Un streaker étendu au sol, nu, blessé et hurlant de douleur fait figure de martyr. D’une relique de nez doré dégouline du gel douche bleuté aux odeurs de virils vestiaires. Le foot c’est chaire. Sport, religion et art se rencontrent en mêlée chez Reda Boussella. Si le corps est au centre, c’est celui de l’outsider, du sacrifié, du perdant. La mise en scène de la blessure marque un temps d’arrêt: la chute des champions. Rocky Balboa en larmes hurle «Adrian» pendant qu’Yves Klein boite après son saut dans le vide. Le corps des hommes est exposé dans sa vulnérabilité et tourné en dérision pour mieux mettre à mal les rapports de domination. L’obsession pour l’échec est également au cœur de l’écriture de Reda Boussella. Il raconte dans ses textes, au rythme entraînant et au style à vif, le vertige de nos grotesques finitudes. En écho, ses installations sont emplies d’indices, de signes et de doubles sens, laissant apparaître la figure du «pharmakos»: le bouc émissaire «qu’on immole en expiation des fautes d’un autre». Poison et remède, cette victime innocente porte les maux de la cité. À propos du boxeur Prince Naseem, il écrit «Tapis volant direction soleil, anastylose du mythe d’Icare. Prince Naseem au sol, aplati par la douleur, ses cent trente kilos s’aplatissent sur le goudron humide […]». La pratique de Reda Boussella incarne à coups de mélanges pop, de références philosophiques et de métonymies –une partie meurtrie pour tout le corps social– l’art de la chute, de la splendeur au néant.

Texte écrit par  Marie Bechetoille dans le Cadre du Salon de Montrouge, 2020