« Impossible d’échapper à cette dialectique : avoir conscience de brûler, c’est se refroidir ; sentir une intensité, c’est la diminuer : il faut être intensité sans le savoir. Telle est la loi amère de l’homme agissant1. »
« S’il y a un biotope nouveau de l’Homo sapiens à pointer, c’est (...) celui du technococon, cet égocentre-ville : une chrysalide de fibres optiques qui a fait du monde, pour chacun d’entre nous, une monade ; et du réel une réalité reconstituée, reformatée. L’enveloppe technologique qui nous entoure et nous choie, comme une Big Mother protectrice, n’est pas seulement devenue plus épaisse qu’avant : elle est plus complète, plus serrée, plus proche physiquement de nous2. »
Paul Cottet Dumoulin développe une pratique à la puissance résolument science-frictionnelle : grattée parmi les débris épars du temps présent, elle irrite notre appréhension d’un futur radicalement proche. Inspirées de l’environnement urbain et teintées au filtre d’un imaginaire nourri à la littérature d’anticipation, les œuvres de cet artiste, diplômé de l’École européenne supérieure des beaux-arts de Bretagne en 2018, trahissent une attitude ambivalente face au contemporain. En premier lieu, c’est l’image brouillée de braises ardentes qui s’impose et subsiste, rémanente. Ainsi, plusieurs de ses sculptures, dont Corosion (fire’s tower)et Corosion 2 (fire’s wall), deuxœuvres réalisées en 2020 par assemblage de parpaings de ciment, ou Feu.JPG (2019), paraissent en proie à une déroutante dévoration interne. Le motif plastique incandescent à la texture tuilée rescapée des jeux vidéo du siècle dernier, apposé grâce à une technique hydrographique connue des amateurs de tunning, porte la richesse symbolique associée au feu. Telle la représentation d’un Shiva dansant, la combustion évoque le mouvement permanent, la force dévastatrice autant que l’intensité vitale, la destruction qui engendre la création. Et l’interprétation qu’en donne Paul Cottet Dumoulin, entre distanciation ironique, appel au rire libérateur et inquiétude sincère, semble partager un même oscillement au regard de l’état du monde. De fait, la nonchalance des protagonistes de Picnic of Fire(2020) pourrait renvoyer à une semblable interprétation duelle, de la matérialisation de l’effondrement inéluctable de notre système thermo-industriel aux possibilités d’une apocalypse joyeuse parmi les décombres du banquet.
Plusieurs œuvres de Paul Cottet Dumoulin interrogent nos relations à l’habitat, qu’il propose à des personnes d’en figurer une vision parfaite (How is your Dream House?, 2017), en sculpte des vestiges (Rue Jean-Marie Duhamel, 2018 ; La Douillerie, 2018 ; 13 rue Alphonse Guerin, 2020), ou mobilise des matériaux industriels (néons, parpaings, béton cellulaire, briques) véhiculant toute une histoire du bâti moderne. Progressivement, le questionnement s’érige de manière plus globale à l’échelle de l’enveloppe : de l’intimité du foyer protecteur à celle du corps, habité par une conscience dont le possible voyage agite des œuvres ambitieuses teintées de scientisme, voire de mysticisme (Rêve Lucide 2016 ; EEC : expérience extracorporelle, 2016 ; Rolling Stone, 2019 ; Gateway, 2019). Les réflexions suscitées par l’éventualité d’une conscience émancipée font couple avec celles provoquées par les nouvelles technologies (Peut-être sur terre / Peut-être dans le futur, 2018). Cette enveloppe autre qui nous entoure, ce « technococon » bien serré, modifie les interactions quotidiennes avec l’environnement. Celles-ci sont désormais médiées en un prolongement inédit du corps, comme le souligne avec malice la série de peintures Drône VS... (2020).
Marie Chênel, décembre 2020
1 Gaston Bachelard,La Psychanalyse du feu, Paris : Éditions Gallimard, 1992 (1949), page 123.
2 Alain Damasio, « Le technococon », in Pablo Servigne, Raphaël Stevens (dir.), Aux origines de la catastrophe, Paris : Éditions Les Liens qui libèrent, page 24.
"Le travail de Paul Cottet-Dumoulin part de ce que l’on connaît déjà dans une langue qu’on a pas encore apprise.
Piochant son vocabulaire plastique dans les formes et matières qui font notre environnement urbain contemporain, il en propose une relecture entre absurde, poésie et prospective.
Ainsi, les débris des chantiers rennais retrouvent une seconde jeunesse en guise de modèle réduit d’une ville en voie d’extinction (Rue Jean-Marie Duhamel, 2018 / La Douillerie, 2018), la fragilité toute paradoxale de l’âme d’un bâtiment vient s’imprimer littéralement dans le plâtre (Hôtel Pasteur, préserver l’invisible, 2018), et quand on croit faire face à deux poutres massives, symboles de notre confiance de bâtisseurs, on s’apprête en fait à entendre comment tout pourrait s’effondrer, ou se métamorphoser, avant même qu’on l’ait vu venir (Peut-être sur terre/ Peut-être dans le futur, 2018). Ici le feu est une simple texture, le béton peut bouger tout seul et les murs de brique ne font pas plus barrière à l’extérieur que la surface d’un verre de lait.
Entre un travail d’architecte de la ruine et celui d’un archiviste mythomane, Paul Cottet-Dumoulin nous rappelle que la stabilité n’est qu’un spiritisme comme un autre. "
Arthur Escabasse, curateur du Collectif 8H30.