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Documentation d'artistes diplômés de l'EESAB, 2015 - 2021

Paloma Moin

MÀJ 17-06-2021

(c) Guillaume Lebrun, 2018

Do Disturb, Palais de Tokyo (Paris)

Il y avait un stagiaire, qui surveillait la salle quand je suis arrivée. Il était assis avec une autre fille. Mais ils sont partis depuis un moment maintenant.

Ils ont dû profiter de ma présence pour s'échapper un moment.

Ça doit être embêtant de rester là toute la journée. Ils m'ont dit que personne ne venait.

Quand je faisais ce même travail à Rennes, c'était une galerie. Je veux dire, leur travail, celui de médiation.

Ils ont coupé le son de la vidéo d'Alison je crois. Ou alors je n'entends pas.

Ils sont revenus.

Je me souviens de ces artistes qui pensaient des vidéos courtes avec des musiques répétitives. Est-ce que c'est pour ça que je fais des pièces silencieuses ?

C'est très différent d'autres lieux, d'autres situations où j'ai pu faire cette même performance.

Au Palais de Tokyo, un homme est monté sur la scène et a voulu prendre ma place.

Comme j'ai refusé, il est reparti. Je me suis sentie mal à l'aise, qu'il parte. De le décevoir.

Un ami de ma mère m'a rassurée. Je l'ai déjà écrit dans une autre performance.

Mais vous n'étiez pas là. Alors je vous le raconte.

Je pensais publier les textes une semaine plus tard, sur mon site internet. Mais je ne l'ai pas encore fait.

Même si je ne modifie rien après coup, j'aime bien me relire. Avant de remettre ça au public.

Je me demande comment publier ces textes après, si c'est suffisant sur mon site.

Parfois, des gens viennent me parler. Comme cet homme qui voulait écrire à ma place. D'autres me posent des questions. Le plus souvent, je réponds pas écrit.

J'ai toujours un calepin à côté, mais je ne l'utilise pas, alors que l'eau, je la finis toujours.

Je ne sais pas quel est le rapport entre les deux éléments.

Ici, c'est très calme, il n'y a pas la distance de la scène.

J'ai eu cette sensation étrange en venant, dans le métro. Un homme faisait la manche, et la femme assise à côté de moi, une dame qui avait l'air respectable. Je n'aime pas cette expression. Qu'est-ce que ça veut dire « avoir l'air respectable » ? Je veux dire qu'elle était habillée en tailleur, je ne sais pas si ça la rend plus respectable... Elle était maquillée.

Elle a crié, non. Pas crié.

Elle dit très fort « on s'en fout ». J'ai trouvé ça choquant.

Un ami poste régulièrement sur facebook des phrases qu'il entend dans le métro. Il y a une autre page aussi qui retrace ce que les gens disent dans les transports : « la gente anda diciendo ». Parfois, je m'assieds et j'écoute. Ou alors dans les restaurants.

Alors que je me plaignais d'un petit copain qui faisait ça.

Il me proposait d'aller dans un bar, mais c'était plutôt pour écouter les conversations des autres. Je me sentais comme une espionne, ou alors c'était lui l'espion et j'étais une sorte de figurante.

Mais j'avais préparé quelque chose pour aujourd'hui. Je voulais écrire quelque chose dans la continuité des dernières performances.

Un ami metteur en scène, m'a demandé s'il y avait des personnages qui revenaient régulièrement. Si on pouvait penser une sorte de série.

Les personnages ne reviennent pas souvent, ou alors si, peut-être des histoires de famille.

J'écris souvent à propos de mes parents, de mes grands-parents.

Les visiteurs ont l'air de vouloir se faire discrets.

Parfois, ils font des choses pour voir si je vais les commenter. Comme cet homme, en face de moi, je ne sais pas s'il est allé chercher un papier sur la table de médiation pour que je commente son geste. Il dit qu'il ne sait pas s'il peut parler.

Il a un visage très expressif. Il est venu avec une femme qui porte un pull rouge. Je disais ce matin, qu'il y a toujours quelqu'un qui porte un haut rouge dans cette performance.

En plus de moi. Je n'ai pas de costume de scène. J'aimerais bien y penser.

J'ai oublié. J'aimerais écrire plus vite, pour pouvoir dire plus de choses. Je devrais m'entraîner davantage. Je ne sais pas s'il existe encore des formations de dactylographie.

Je me suis inscrite une fois au Pôle Emploi, mais on ne m'a proposé qu'une formation pour apprendre à faire un CV.

J'étais perplexe, alors le conseiller m'a donné quelques pistes : il fallait que je mette une photo, parce que mon apparence serait un plus, et aussi, ne pas faire mention de ma date de naissance parce que j'étais trop jeune.

Je n'y suis plus retournée.

Alexandre a décroché son œuvre. C'était un masque-éponge. Dans l'angle de la galerie. C'est difficile à expliquer, cet espace. Un mur en biais au fond, quand on entre.

Il a préparé cette œuvre pendant plusieurs mois. Il ne m'a pas prévenue quand il l'a retirée.

Pourtant, on se connaît bien.

Il fête son anniversaire ce soir.

Il ne reste que la trace du masque.

C'est aussi l'anniversaire d'Anna. On a déjà fêté son anniversaire en avance. Je suis un peu superstitieuse alors je n'aime pas fêter les anniversaires en avance.

J'ai toujours l'impression de penser à des choses importantes que je voudrais écrire, et je les perds toutes une fois assise à cet ordinateur. Je ne pense pas que ce soit à cause de l'ordinateur. Ou de la situation.

Mais elles m'échappent toutes.

Je pensais parler de cet événement du métro, et aussi d'un livre que j'ai lu, et même des Young British Artists.

Je donne des cours d'Histoire de l'Art, et mes étudiants m'ont demandé ce sujet. J'ai trouvé ça étrange, et même pointu, de me demander de parler de ce groupe d'artistes des années 90, réunis par Saatchi.

Parfois, on me demande des choses étranges : parler de l'abstraction à travers les siècles, ou alors, il y a quelques mois, des traces d'architecture précolombienne.

J'aime bien qu'on me demande des sujets qui s'éloignent de ma formation. De toutes manières, je me forme beaucoup seule.

J'ai appris à lire beaucoup en peu de temps. C'est très pratique. Une amie dit qu'elle lit en moyenne 800 pages par semaine. Je trouve que c'est beaucoup.

Je ne sais pas si c'est une compétition. Je n'ai jamais eu cet esprit de compétition.

Parmi mes amis, il y a ceux qui sont dans cette incessante compétition et ceux qui ne le sont pas. Mais entre ceux qui ne le sont pas, certains ne sont pas satisfaits de leur économie et n'y font rien. La plupart sont artistes, mais ils ne vivent pas de ça.

Ceux qui sont dans cette course, celle du plus, plus fort, mieux... je crois qu'ils ont abandonné l'art.

Mais peut-être que je dis n'importe quoi.

Je ne sais pas ce qu'ils font ou ne font pas.

Parfois je discute avec ma mère, de ça. Elle est danseuse. Il lui arrive de ne pas savoir si elle va renouveler son statut d’intermittente des spectacles ou pas.

Je n'arrive plus à suivre les calculs d'heures.

Alors, il y a ce restaurant à Buenos Aires, qui appartenait à son père et qui est loué. Ça lui rapporte un peu d'argent.

Je me demande comment font les autres artistes.

J'en connais qui sont gardiens de salle dans les musées.

On me salue. Ils disent qu'il y a moyen de faire des débats. Peut-être que je pourrais organiser un chat, un jour.

Mais dans les chat sur internet, c'est très impersonnel et il y a toujours ce moment où

Ils disent dans des forums avec des vrais gens. Je nous imagine en toge, comme dans les illustrations des livres d'histoire.

Peut-être que c'est nécessaire. D'avoir un costume pour discuter.

Mais ce serait autre chose. Une autre performance. Ou alors rien à voir, quelque chose de tout à fait différent, un espace utopique.

Cet ami metteur en scène qui me conseillait, revient d'un voyage-projet. Ça s'appelle Le Radeau Utopique.

Il a réuni un équipage de comédiens pour construire un radeau et ils ont navigué sur le canal de la Rance pendant un été. Ils en ont créé un film et une pièce de théâtre qu'ils jouaient chaque soir dans une ville différente. La scène était le radeau.

Un des comédiens a quitté le projet en cours de route, en cours d'eau... ce n'est pas très drôle.

Je ne sais plus pourquoi je raconte ça.

Ah, si, pour cette question de l'utopie. Leur projet consistait à imaginer qu'ils se dirigeaient vers l'île d'Utopie.

Il m'avait proposé de participer. Mais comme je ne sais pas nager, je trouvais ça un peu dangereux de m'engager pendant deux mois sur un radeau.

Et puis aussi, il ne prévoyait pas de payer les comédiens. Alors tous étaient en train de demander de l'argent à leurs parents pour ce projet. Ce n'était pas tout à fait mon idée du départ pour Utopie.

Et puis, Simon m'a parlé d'un autre projet, d'un metteur en scène qui augmente sa pièce à chaque date. Ça s'appelle X minute.

Mais je ne sais pas si je pourrais voir la pièce, elle ne se joue pas à Paris.

Je me demande si Patrick l'a vue. Ou s'il en a entendu parler. Il dit non.

Ils ont un site internet mais on ne comprend pas bien le projet.

Je ne sais pas non plus ce que ça donne sur scène, parce que simplement le concept d'augmenter la pièce à chaque date, c'est chouette, mais ça ne donne aucune indication sur le propos de la pièce. Ou alors c'est justement ça : parler de la création.

Mais, ils en sont à plus de 80 min, et le sujet pourrait s'épuiser trop vite.

J'ai lu beaucoup d'articles qui mettaient en avant cet aspect économique de l'oeuvre, qui double de prix en même temps que la durée du spectacle augmente.

J'ai pensé au Living Theater.

J'aurais aimé voir quelque chose comme ça.

La Piccola Familia avait présenté quelques mises en scènes très longues. Je suppose que ça devient une sorte de transe pour le public. Peut-être que pour les comédiens aussi.

Vivre dans le théâtre. C'est une phrase un peu banale.

Mais elle me rappelle que j'aimais m'endormir dans les gradins ou alors dans les coulisses quand ma mère répétait ou était sur scène.

J'entendais peu ou pas grand chose, mais je savais que ça se passait.

C'est un endroit rassurant le théâtre. Il fait sombre, alors on peut passer inaperçu. Rester discret. Et puis, le public est content d'être là, il y a une sorte de bienveillance.

Ça n'est pas toujours le cas au sein d'une compagnie.

J'ai très peu fait partie de collectifs d'artistes. Et j'aime habiter seule. Je dis souvent en riant, que je ne suis pas très sociable.

Ce n'est pas très vrai, j'aime bien les gens, et être avec des gens.

Parfois, je reste en silence. Ou alors, je pense des choses, je pense que je les dit. Et ça me met dans des positions inconfortables parce que souvent, je ne les ai pas dites.

Alors je les écrit. Comme là.

On m'a dit que c'était courageux d'écrire sans filtre. Mais je vois cet ordinateur comme une extension. Ha ! J'ai pensé aux extensions qu'on peut ajouter sur les ordinateurs.

J'ai acheté un autre ordinateur la semaine dernière. Il est tout petit et très transportable.

C'est bien. Mais j'ai du mal à lire dans un si petit écran.

C'est une phrase de vieille.

J'aime bien les personnes qui portent leurs lunettes au bout de leur nez. Pour lire par dessus.

Peut-être qu'un jour je serai comme ça aussi. Mais pour l'instant, je porte des lentilles. Je trouve les lunettes inconfortables.

Mon ophtalmologue m'a dit que je pouvais faire opérer la myopie. Que j'étais une bonne candidate. Même si c'est ce que j'espérais, je n'ai pas aimé cette phrase. Bonne candidate.

Candidate comme un jeu. C'est effrayant.

Je vais dans un centre où il y a beaucoup d'ophtalmologues. On prend rendez-vous sur internet et c'est quelqu'un de différent à chaque fois.

Mais ils sont assez sympas.

Je dis beaucoup « mais ».

Alors que je déteste les gens qui disent « mais » sans cesse.

Je vais essayer d'arrêter, ou de changer cette expression. Souvent, quand ça m'arrive, j'essaie de penser l'expression qui me colle et de ne pas la dire.

Qu'elle passe toute seule.

Avant de passer le diplôme de cinquième année à l'école de Beaux-Arts, un comédien est venu nous coacher.

Je n'ai pas retenu grand chose. Pourtant, je trouvais que c'était une bonne idée.

Alors que toujours, on avait séparé le théâtre des Beaux-Arts.

On sépare beaucoup de chose des Arts Plastiques. Alors qu'on dit que ce « monde » s'élargit.

La performance est probablement un point de rencontre.

J'ai vu qu'il y avait une conférence sur la performance et le féminisme à l'Ecole des Beaux-Arts. Je ne me souviens plus de la date.

Je mets que je suis intéressée ou que je participe à plein de choses sur internet, sur facebook. Et après, je n'y vais pas.

Ça reste virtuel pour moi. Jusqu'à ce que quelqu'un m'en parle de vive voix.

J'ai discuté avec une amie qui ouvre une maison d'édition. Elle m'a proposé de faire partie du projet parce qu'elle veut éditer un livre d'artiste par an et qu'elle veut un point de vue qui ne soit pas celui d'une éditrice. Je l'aime bien. Je savais déjà, avant le rendez-vous, que j'allais accepter.

Je ne sais pas pourquoi j'ai fait le lien... ah... peut-être parce qu'elle organise un festival chaque année. La seule communication se fait par facebook.

Il y a quand même du monde qui vient. C'est à Montmartre. J'ai toujours l'impression que c'est le bout du monde.

J'ai mal à la mâchoire, mon dentiste m'a fabriqué un appareil que je porte le soir, une sorte de truc de boxeur, pour protéger les dents. Pour que je serre moins la mâchoire, mais ça sert davantage à ne pas abîmer les dents.

Mon grand-père a les dents toutes limées à cause de ça.

C'est probablement le stress.

Mon ordinateur enregistre des mots que j'emploie souvent. Je n'aime pas ça, j'ai l'impression de me répéter plus que je ne voudrais.

J'aimerais me renouveler sans cesse.

Et quand je lis, d'autres romans, j'aime les répétitions, trouver une sorte de refrain.

Le stagiaire n'est toujours pas là. Je me demande ce qu'il fait.

Je voulais lui demander de prendre quelques photos, pour les archives.

L'autre fille lit un livre, elle ne prête pas attention. C'est amusant.

J'essaie de changer parce que je dis beaucoup « c'est drôle » ou « c'est chouette ».

J'ai remarqué que j'ai contaminé d'autres personnes autour de moi qui disent de plus en plus « c'est chouette ». C'était passé de mode, je crois.

Un de mes clients/partenaire de travail, m'a écrit un mail en me disant qu'il s'était aperçu qu'il utilisait plusieurs de mes expressions.

Je ne sais pas à quoi c'est dû.

Il m'envoie au Mans la semaine prochaine, j'ai un assistant qui a l'âge de mon père. Il est né la même année, en 55.

Matthieu a insisté sur le fait que je devrais le diriger, qu'il ne voudrait peut-être pas m'obéir... je n'aime pas tellement cette idée, de diriger.

Quelqu'un jette du verre.

Ah, je parlais de diriger, je crois que c'est pour ça que je travaille seule. Pour ne pas recevoir d'ordres, ni en donner.

Peut-être qu'il existe d'autres façons de faire, où personne n'est chef, ni leader.

Le stagiaire est revenu. J'ai oublié son nom. J'oublie souvent les noms des gens.

C'est horrible quand ça arrive... j'ai des astuces, pour me souvenir de certains noms ou alors des subterfuges pour faire illusion. Je me souviens des situations, de ce que font les gens, les lieux où je les ai rencontré.

Les noms m'échappent, ceux des artistes desquels je dois parler aussi.

J'oublie les dates. Ça, depuis toujours.

À l'école, je craignais les contrôles de dates en Histoire.

Ça m'a découragée de faire des études à l'université. Parfois, j'imagine que je reprends des études et que je suis méthodique.

Que je sais comment m'organiser. J'ai essayé une fois d'appeler le secrétariat de Paris III.

Mais ils m'ont demandé tellement de choses, de documents et d'informations, que j'ai abandonné.

Maintenant, je suis passée à autre chose.

Le travail de conférencière, c'est aussi un peu ça, étudier, être payé pour étudier.

Je n'ai jamais autant appris de choses qu'avec les expositions qui se renouvellent. Ou alors si, en voyage.

J'aimerais voyager davantage. On dit qu'on voyage dans les livres ou en lisant. C'est un peu vrai, la temporalité est différente. Il y a des livres qui passent très vite, d'autres qui s'étirent dans le temps.

J'ai demandé à mon père s'il pouvait me faire un ex-libris. Il m'a d'abord envoyé une ébauche terrible : un quart du soleil du drapeau argentin, et puis une devise qui disait « rigueur ». Je ne sais plus ce qu'étaient les autres mots.

Il m'a envoyé une autre proposition ensuite.

C'est maintenant un arbre, avec mon nom.

Je l'ai vu sur des photos il y a quelques jours. Il avait les cheveux blancs et la barbe aussi.

Je ne l'ai pas vu comme ça.

Ce sont des élèves à lui qui ont posté ces photos sur facebook.

Ça arrive une ou deux fois à l'année. Quelqu'un poste une photo et je me dis qu'il faudrait que j'y aille, que ça fait trop longtemps.

Ça fait quatre ans. C'est à la fois beaucoup et pas grand chose je crois.

Mais je crois qu'on a beaucoup changé, lui et moi, en quatre ans.

J'y pense un temps, je lui en parle, et puis quand je suis prête à acheter un billet, je me ravise.

Je repense aux derniers voyages, qui n'étaient pas très heureux, et aussi à la situation sur place.

Ma mère est en procès avec son frère, et ma grand-mère a pris le parti de son fils.

Et puis de l'autre côté, mon grand-père paternel ne me reconnaît pas.

Je ne me sens pas très à l'aise à Buenos Aires. On m'a souvent dit qu'il fallait que je me méfie de tout.

Alors je me dis que je suis si bien à Paris, dans mon appartement, couvert de photographies, qui me rappellent ma famille, mais en silence, figés.

Ça n'a pas l'air très heureux ce que je raconte.

Je devrais penser à un autre sujet. J'ai déjà parlé de mon grand-père dans une autre performance parce qu'il se souvient de plus en plus du Yiddish.

J'ai voulu apprendre la langue, mais je ne l'ai pas fait. J'hésite entre trop de langues et je crois que j'ai du mal à m'inscrire à des cours.

Je n'ai jamais suivi de cours à l'année... j'ai souvent changé d'activité en cours de route.

C'est plutôt l'idée du calendrier qui me fait peur.

Que ça s'arrête en juin. Quand il n'y a pas cette échéance, je continue les activités et les projets sur plusieurs années.

Patrick part.

Il lira la suite du texte plus tard.

Je reste seule avec le stagiaire et son amie. Je ne sais pas très bien quelle est leur relation. J'ai imaginé qu'ils étaient un couple. Peut-être. Je ne voudrais pas les embarrasser si ce n'est pas le cas.

J'ai imaginé qu'il étudiait à Rennes et qu'elle habitait ici à Paris, qu'ils s'étaient retrouvés ici, un peu par le hasard de cette exposition.

Il me raconteront probablement une autre histoire.

J'ai essayé d'accommoder le drapeau de Thomas, on est censé voir le texte apparaître. Mais je n'ai pas réussi. Il avait montré comment faire.

Je ne m'en souviens plus.

J'oublie beaucoup de choses. Et dans ce cas, cette performance a l'air de conserver des choses essentielles.

D'un autre côté, j'exerce ma mémoire au quotidien dans le travail de conférencière.

J'étais angoissée la première fois que j'ai fait une visite guidée au Musée Picasso.

Le manager nous avait prévenus : pas de fiches.

Mais c'est facile dans un musée : c'est un espace, on projette les idées sur un support visuel, les œuvres, au fur et à mesure qu'on avance.

Certaines méthodes pour mieux mémoriser se basent sur ce principe : celui de projeter un espace où on range les différents éléments qu'on ne voudrait pas oublier.

Et puis, il y a souvent des cartels sur lesquels on peut loucher, rapidement.

Reynald est arrivé. Il parle d'un devoir sur table lundi, pour les étudiants de deuxième année. Je ne me souviens plus de ce que ça fait de se pencher sur un devoir de cette manière là. Alors que tout le monde est dans la même situation. Il dit qu'il va filmer un peu.

On m'a demandé plusieurs fois si j'avais des vidéos de cette performance. Mais je n'ai que des images et des textes.

J'ai un peu soif.

Il a apporté un trépied. C'est un peu impressionnant. Finalement pas tant que ça parce qu'il n'y a qu'un téléphone pour filmer.

Patrick Zachmann qui est photographe, utilise beaucoup son portable pour prendre des photos. Sauf, quand il a un reportage à faire.

J'essaye de lire à nouveau des textes théoriques, j'ai lu beaucoup de romans ces dernières années, peu d'essais.

Alors, je suis allée à la librairie du centre Pompidou et j'ai regardé les tranches les plus fines du rayon essais. J'en ai acheté plusieurs.

Mais lire Barthes dans le métro, ce n'est pas facile. Entre les personnes qui se disputent et les musiciens, on est très vite plutôt en train d'observer ce qu'il se passe.

Avec la fiction, c'est autre chose, on incarne ou s'identifie à un personnage.

Reynald parle des concours d'entrée, les artistes les plus cités. Je me souviens d'avoir corrigé les écrits de l'épreuve de langue deux années de suite.

C'était à la fois intéressant et un peu décevant. Pas parce que ça se répétait, ni à cause du niveau de langue en espagnol, mais plutôt parce que j'avais l'impression que les candidats au concours essayaient d'écrire quelque chose qui puisse plaire, mettre en avant des mots-clés ou des choses qu'ils auraient lu ou entendu ailleurs. Rarement un point de vue personnel. Je crois que je ne réussis pas les concours pour ça, parce que je n'imagine par suffisamment ce qu'on attend que je dise. Ou alors, je suis contre ça.

On me demande si j'aurais fait cette performance si personne n'était venu.

Je l'aurais faite quand même, c'est aussi un temps que je me donne pour écrire, alors que je ne sais plus le faire chez moi, ni dans un atelier.

Il y a toujours mieux à faire : le ménage, des courses, à manger, aller ailleurs, regarder un film ou un documentaire.

Je n'arrive pas à ne rien faire, j'ai téléchargé une application qui aide à méditer.

Ce sont des enregistrements, d'un homme qui parle en anglais, toujours avec la même voix, le même rythme, il parle de la respiration, de se concentrer tantôt sur la respiration et les sensations du corps, et puis parfois de laisser les pensées aller et venir.

Mais il n'y avait que 10 épisodes de disponible et je les ai tous écoutés. Je ne sais pas si je devrais reprendre le programme au début, ou alors en chercher un autre.

J'ai un cousin qui fait ça. Tous les matins, il médite. Il fait partie d'une secte.

Dans Fantastic M. Fox, le cousin du fils de M. Fox médite. C'est chouette.

Il est assis en tailleur.

Moi, quand j'essaie, je m'allonge plutôt.

Dans un de ses spectacles, quand ma mère travaillait avec Christophe Haleb, elle reproduisait un cours de relaxation et elle disait « un téton vous regarde ».

Mais je sais que ce n'était pas moqueur. Maintenant je ne sais plus si c'était elle qui disait ça ou alors si c'était Katia.

Peut-être que c'était Katia Medici.

Je ne sais plus non plus dans quel spectacle c'était.

Reynald est aussi étonné qu'Alexandre ait déjà retiré son œuvre.

J'ai vu qu'elle était à côté de l'évier. Mais peut-être que c'était un des tests.

Ils discutent au loin, ça résonne dans cette galerie et on entend pas bien ce que les gens disent.

Ça me fait penser à l'acoustique dans la grande salle de l'Opéra Garnier.

Il y a cette anecdote qui dit que l'architecte aurait reçu tellement de conseils divers qu'il se serait finalement reposé sur la chance, et que ça marche.

Cette chaise n'est toujours pas confortable.

Je n'ai pas encore trouvé de lieu avec une chaise confortable.

Peut-être que je devrais avoir la mienne.

Ce serait encombrant. Je ne sais pas conduire, je me vois mal dans le métro avec mon ordinateur et une chaise.

Pour les premières performances, j'emmenais aussi mon vidéoprojecteur. La plupart des lieux où je vais en ont. Alors, je suis de moins en moins chargée.

C'est aussi inquiétant, d'arriver et d'emprunter le matériel du lieu. C'est à la fois confortable, parce que je n'ai plus qu'à m'installer pour écrire et aussi un peu étrange, d'arriver sans rien, sans moment pour installer des objets autour de soi.

Des fétiches ou objets porte-bonheur. J'en ai déjà parlé aussi, c'est une constante dans cette performance aussi. Je parle souvent des objets qui peuvent me rassurer au moment d'écrire : la tasse de thé, le calepin... L'espace de travail...

C'est aussi pour ça que je n'écris pas beaucoup chez moi : c'est trop encombré.

Reynald a parlé d'écriture automatique, et c'est vrai, c'est un moment étrange, celui d'écrire dans sa bulle, s'abstraire du lieu et en même temps y replonger en entendant quelque chose qui provient de l'extérieur.

Je crois que je suis plus efficace comme ça, parce qu'il y a ces éléments à l'extérieur de mon espace de travail, mais à proximité immédiate, sans frontière, et qui me replongent dedans.