(c) Guillaume Lebrun, 2018
Do Disturb, Palais de Tokyo (Paris)
C’est bien aussi de commencer et qu’il n’y ait personne. J’ai l’impression de la projection est un petit peu floue.
Même les techniciens sont partis. Est-ce que je suis réellement toute seule ?
J’ai trouvé le tiret. Hier, je ne le trouvais pas, ça faisait un signe égal. En fait, il est sous le 6.
Je vais essayer de m’en souvenir.
Deux personnes sont entrées mais sont reparties aussitôt, elles avaient l’air de chercher quelque chose dans la salle.
Je ne sais pas si on lit si bien du fond. Une autre personne est entrée et me fait signe de la main. Je ne sais pas si le micro est allumé. Je vais essayer de lui dire bonjour.
Ça marche.
Je ne sais pas qui elle est.
Ah, elle connait Charlie. Est-ce que ça s’écrit Charlie ou Charly ? Il y a plusieurs orthographes possibles.
A nouveau, il n’y a plus personne. Et encore une fois, je bois trop d’eau.
J’entends la vidéo dehors. C’est une vidéo avec des catcheuses. Ah, j’ai entendu une autre voix. Mais je ne sais pas d’où elle vient. Je ne vois personne. Pourtant, la salle n’est pas si sombre.
J’aime bien cette salle. Beaucoup m’ont dit que c’était la plus belle du Palais de Tokyo. Je ne sais pas si c’est la plus belle. Il y a tellement d’espaces différents ici. Deux personnes. Une est entrée par une porte, et l’autre de l’autre côté.
Il y a ce film de Dominique Gonzalez Forster (je ne suis plus très sûre de l’orthographe) où elle filme un parking en plan fixe, et elle commente, par les sous-titres. Comme si elle était le metteur en scène de ce qu’il se passe.
Et ce qu’il se passe, ça n’est pas grand-chose en réalité. C’est un chien qui passe, une voiture qui se gare, etc. Et elle écrit « maintenant, un chien entre ». Je regrette d’avoir écrit cette citation. Je ne me souviens pas des paroles exactes. J’ai peur de lui prêter des mots qui ne sont pas les siens.
Un talkie-walkie. J’avais un public de techniciens, certains sont repartis.
Une autre personne entre. Comme elle a quelque chose sur le dos, je me dis que ça n’est pas un technicien. Il demande quelque chose à une fille au tee-shirt rouge.
Peut-être qu’il lui demande de ce que c’est. J’imagine. Deux autres personnes au loin.
C’est un horaire un peu étrange, non ? Le tout début d’une journée de festival. Surtout qu’il y a eu une fête hier. Entre le Palais de Tokyo et le Musée d’Art moderne.
Plus de monde. Hier, à la galerie, presque tout le monde portait du jean. C’est moins le cas au Palais de Tokyo. Les gens qui viennent s’habillent différemment.
Je ne sais pas si on peut établir des modes selon les quartiers.
C’est bête de dire ça parce que j’ai vu un guide vestimentaire des arrondissements parisiens dans une librairie.
Quelqu’un lève la main et salue. Il porte le bracelet fluo. Je suppose qu’il a levé la main pour que je l’écrive.
Je ne sais pas si je dois le contenter.
Mais peut-être que ça fait partie de cette performance… essayer de voir ce que les autres ont aussi envie de voir. Ou ce à quoi ils s’attendent.
Mais alors contenter… contenter tout le monde déjà, ça, ce n’est pas possible. Je crois.
J’ai souvent tendance à essayer de faire ce que l’on attend de moi. Mais parfois je me trompe.
L’homme aux lunettes me dira si son geste visait à être enregistré. A JAMAIS !
Il s’est levé et a salué. Voilà, je le documente.
Peut-être que quelqu’un fera une autre performance devant. Il y a de la place. Je veux bien commenter et rapporter ce moment.
Ma mère est là, elle est performeuse. Elle pourrait faire quelque chose. Mais je doute qu’elle le fasse.
Ou peut-être Fred Seguette qui est assis à côté.
La semaine dernière, il y avait une fête chez Joris. Et Viviana (ma maman) a dansé comme Fred dans Shirtology ? Shirtologie ? j’ai du mal avec ces titres qui finissent en « i »… on ne sait jamais comment écrire.
Bon, et puis j’ai dit que c’était Fred dans Shirtology/ie. Je pensais qu’on pouvait lancer un blindtest des danses les plus connues des spectacles contemporains. J’allais dire de danse contemporaine. Mais ça m’aurait fait répéter trop de fois le mot danse dans la même phrase.
J’essaie de faire attention à ça. Une fois, un professeur, une institutrice a dit qu’il ne fallait pas répéter deux fois le même mot dans une phrase.
D’autres personnes sont assises.
C’est très drôle. Hier on m’a fait cette remarque. Que je dis souvent « c’est drôle ».
Je ne sais pas si je dis ça pour ponctuer. Ou si je trouve ça vraiment drôle.
Il y a une fille avec un tee=shirt médiation. Encore ce signe égal. Je ne suis pas habituée à ce clavier.
C’est embêtant. Mais je dois retenir que c’est sous le 6.
Sinon ça fait ces zigs-zags rouges sous les mots. En même temps, ça donne un peu de couleur.
D’habitude, je m’habille dans des couleurs sombres. J’essaie de varier en ce moment.
Une fois, on m’a dit que je n’avais pas l’air française parce que je portais trop de couleurs.
Pourtant, j’ai l’impression d’être assez sobre.
Alors je suis passée des styles parisiens aux styles français.
Quelqu’un fait des sons avec sa voix, et un autre a dit « chut »
C’est drôle. Une personne rit. Elle doit trouver ça drôle aussi.
Je ne sais pas qui sont les gens ici. Mais vous êtes tous assis par groupes. Une personne déchiffre ce que j’écris.
Je vais peut-être trop vite.
On m’a dit ça aussi hier soir. Que j’écrivais très vite.
Je ne sais pas s’il existe encore des concours de dactylographie.
C’est aussi un mot qui revient souvent dans mes performances. Dactylo.
Si je suis là pour rapporter ce qu’il se passe, pour montrer qu’on peut taper vite sur un clavier…
Mon père écrit très lentement. C’est exaspérant. Je déteste chatter avec lui. Parfois, j’attends plusieurs minutes qu’il dise « ok » ou « oui ».
Alors on se parle sur Skype. Mais ce n’est pas beaucoup mieux parce qu’il ne dit pas grand-chose. Alors on passe 1 à 2h sur Skype pour ne rien dire. Il y a toujours un moment où je vais faire autre chose et je laisse Skype allumé.
Je me dis que c’est peut-être une façon pour lui de voir mon quotidien.
Je dis beaucoup « peut-être ». Peut-être que je me pose beaucoup de questions ou que je ne suis pas très sûre de moi. Je ne sais pas si je devrais le dire.
Ou l’écrire. C’est pire, parce qu’après, je mets le texte sur mon site internet. Et tout le monde saura.
C’est effrayant.
Mais je ne sais pas si beaucoup de personnes lisent tout le texte.
Le même homme monte sur la scène. Il dit « je peux ? » puis plus loin « écrire un mot ». Non. Je crois que non. Les gens ont rit.
Il écrit sur son téléphone.
J’essaie de nouvelles choses avec ce micro. Avant je n’aimais pas ma voix au micro.
Mais maintenant, je me suis habituée. Il paraît qu’on n’aime que rarement s’entendre. Ou se voir. Il y a une étude, que j’ai vue sur facebook, qui disait qu’on s’attend toujours à être plus photogénique que ce qu’on est. Peut-être qu’on s’attend aussi à être plus radiophonique que ce qu’on est.
Des gens partent. Peut-être que j’aurais dû laisser l’homme écrire quelque chose.
Je regrette un peu maintenant. Parfois, il faut savoir prendre des risques. Mais bon, c’est très intime ce clavier.
Je crois que j’ai déçu le public, c’est devenu presque égoïste… Pourtant, quand même, hier et avant=hier, on m’a dit que non, que c’était assez courageux d’écrire comme ça, sa pensée.
« ça, sa » c’est étrange.
Un autre dit « merci » et part.
J’aime bien que les gens entrent et partent. J’ai déjà vu cet homme quelque part. Dans une autre exposition.
Je m’en souviens, c’était avant une visite guidée au Centre Pompidou. Il m’avait fait un câlin avant de repartir. Assez étrange.
Je crois qu’il est aussi allé voir une exposition au Grand-Palais. C’est possiblement (j’arrête avec les peut-être). C’est possiblement une association qui organise des sorties culturelles.
Quelqu’un prend une photo, je crois.
Oui, c’est ça. Ou alors il filme. Je ne vois pas bien.
J’espère qu’il m’enverra la photographie. J’ai entendu un autre talkie-walkie.
La bande son de la vidéo dehors tourne en boucle. J’ai déjà entendu ce passage.
Quand j’étais étudiante, je travaillais comme médiatrice à La Criée. Un centre d’Art à Rennes.
Et il y avait souvent des vidéos, très courtes avec des musiques entêtantes. Avec ma collègue, on se disait que les artistes pensent rarement aux médiateurs qui rentrent chez eux avec la musique dans la tête et continuent à y penser sous la douche. C’est une intrusion. On n’en finit pas. Et le lendemain, encore. La même petite musique. Au moins, je me souviens de la vidéo. Et de la musique « Little Boxes ». Je l’ai passée à une de mes élèves d’anglais. Je donne des cours d’anglais parfois.
Alors je me dis que c’était peut-être un coup marketing de la part de l’artiste. Faire en sorte que des années plus tard, on s’en souvienne encore.
D’autres personnes sont arrivées. Une femme est entrée avec un sac rouge. Il y a un P inscrit en blanc. Je me demande si c’est pour Palais de Tokyo ou autre chose. Mais les sacs du Palais de Tokyo sont généralement noirs.
Elle a des lunettes mais elle les porte bas sur son nez, comme pour regarder par-dessus. J’aime bien cette attitude. C’est très désinvolte. D’avoir des lunettes, mais de dire « non, je n’en ai pas besoin, moi je lis par-dessus ». Mais peut-être que ce sont des lunettes pour voir de près. Dans ce cas, c’est moins rebelle.
Moi, je suis myope. Mais je mets des lentilles. Alors on ne sait pas que je suis myope.
J’aimerais bien me lever et voir le matin. Le soir, ça ne me dérange pas. Si je vois moins, je m’endors tout de suite. Il n’y a rien à voir, alors je ferme les yeux. Logique.
Mais le matin, c’est différent, je crois que je mets plus de temps à me réveiller. Et puis, j’ai des lunettes qui tombent justement. Je ne sais pas pourquoi, il y a toujours un problème avec les lunettes. Soit elles sont trop serrées, ou alors elles tombent, ou alors les verres sont rayés ou sales.
Une fois, une autre institutrice ou professeur de dessin, voulait nous apprendre le pointillisme.
Elle avait affiché des reproductions au tableau et avait proposé à tous les enfants myopes d’enlever leurs lunettes. Evidemment, on était avantagés. Les couleurs se fondaient les unes aux autres et on distinguait presque mieux l’objet. J’emploi le mot objet pour parler de ce qui est représenté.
C’est drôle ces mots qui ont plusieurs sens. Il faut souvent essayer de spécifier le sens qu’on lui prête. Ou alors il faut être très fort pour que ce soit évident pour tout le monde.
Faire de belles phrases très précises, sans aucun double sens. Je ne sais pas si c’est possible.
Peut-être que certains écrivains ont réussi.
Je ne m’en souviens pas.
Une femme tient un portable devant son visage. Ça brille. Quand elle est entrée, elle a salué de la main. Je l’ai remarquée.
Un homme est entré, il porte un short.
Je trouve qu’il fait un peu froid encore pour ce genre de tenue. Sauf à l’intérieur du Palais de Tokyo. Mais dehors, il fait un peu froid.
J’ai hâte qu’il fasse meilleur temps. Mais je comprends cette envie de changer sa garde robe.
C’est embêtant tous ces vêtements, ces couches de tissus.
J’en ai parlé récemment.
Je ne le vois plus. Il est peut-être allé se changer.
Ou alors, il a voulu rester en mouvement parce qu’il avait froid. Je peux comprendre.
Un homme sourit. C’est le seul debout.
Alors il s’assied. Il boit quelque chose. Moi aussi. Parfois, j’imite un peu les gens dans le métro. Surtout quand ils sont à plusieurs et que je suis avec d’autres personnes. J’essaie d’en choisir une et de l’imiter.
Je me dis que je vis plusieurs vies comme ça. J’aurais pu faire des études de théâtre.
Je déteste les gens qui disent « j’aurais pu faire ci, ou ça ». On n’en sait rien en réalité. On a fait ce qu’on a fait… c’est très banal comme phrase. Je déteste les phrases banales.
Non, parfois, j’aime bien, n’utiliser que des phrases banales. Et voir si on peut leur trouver un sens. Ou alors combien de temps peut durer une conversation de phrases banales et toutes faites. Mais pas trop souvent. C’est lassant.
Ça arrive trop souvent je trouve, ces conversations, ponctués par des phrases toutes faites et qui s’étirent. Alors qu’on n’aurait pu dire les choses simplement. Directement.
D’autres personnes arrivent à créer un contexte, une atmosphère, et à faire d’une anecdote une histoire fantastique. J’aime bien les histoires.
J’aime bien qu’on me raconte une histoire. J’y avais toujours droit quand j’étais petite.
Au bout d’un moment, mes parents m’ont proposé de les raconter moi. Et de les noter parfois.
Mais souvent on inventait des histoires ensemble. Les personnages étaient souvent des fruits et légumes personnifiés.
Une fille au haut rouge est partie et un homme avec un haut de la même couleur est entré.
Peut-être qu’il faut toujours qu’il y ait quelqu’un en rouge dans une salle comme celle-ci. Hier, j’avais un haut rouge.
Alors, je n’ai pas fait attention à ça. Une fille portait une jupe métallisée. C’était chouette.
Personne ne porte de vêtement métallisé aujourd’hui.
J’achète souvent mes vêtements par couleur. Pendant des mois, je n’achète que du bleu, et puis que du rouge. Je suis un peu mono-maniaque. Mais je fais ça aussi avec la nourriture.
Je fais mes courses et je n’achète que des choses vertes. Et puis que des choses oranges.
En ce moment, j’achète beaucoup de rouge.
Je ne sais pas si je suis la seule à faire ça. Pourtant, je ne me considère pas comme quelqu’un qui a des troubles ou des désordres. Je ne sais pas comment il faut dire aujourd’hui.
Les terminologies ont toutes changé. Maintenant, il faut surveiller ce que l’on dit, les mots qu’on utilise, pour ne vexer personne. J’ai souvent peur de vexer. Mais là, ça n’aurait probablement vexé que moi.
Ça devient compliqué et je vois qu’il me reste peu de temps. J’essaie de penser à un sujet qui ferait bien pour la fin.
Ma mère est revenue, elle boit du café. Elle a renversé le café dans son sac en venant. Elle rit.
Ça lui arrive souvent, ce genre de choses. Après, elle était un peu triste parce qu’on allait être en retard.
Je ne sais pas si elle a remarqué que le monsieur (je change de « l’homme ») assis à côté dans le métro, nous regardait en riant.
Elle sortait tout de son sac : chéquier, lettres à envoyer, banane, médicaments… tout avec du café.
Il doit être froid maintenant. Il paraît que ça n’est pas digeste du café froid.