C'est la première fois que je commence en retard cette performance. Mais c'est le jeu de la programmation. Quand on est en fin de journée, c'est souvent comme ça, comme chez le médecin.
Il est souvent préférable de prendre rendez-vous en début de journée. Ou alors après la pause déjeuner.
Mais parfois, il arrive que mon dentiste prenne des patients aussi pendant la pause déjeuner. Je le sais parce que j'ai déjà eu une consultation à cet horaire là. Je m'étais cassé une dent. J'avais travaillé la matinée en essayant de ne pas trop ouvrir la bouche.
Il y a une autre performance en même temps. Ce sont des danseurs. Je crois. Je ne sais pas s'ils sont tous danseurs ou si alors ce sont des personnes d'horizons multiples qui dansent. Je ne vois pas très bien, il y a trop de gens devant.
Il me semble qu'ils vont aller à l'extérieur ensuite. C'est ce qu'on m'a dit.
Le dentiste a réparé ma dent, mais de manière provisoire. J'ai toujours cette crainte : qu'elle se casse à nouveau. Alors, je lui ai fait faire un devis, pour une nouvelle dent. Mais ma mutuelle n'a pas encore répondu. Depuis plus d'un mois. Je me dis que c'est à cause de l'été.
Il y a beaucoup de musiques comme celle-ci. Qui tournent un peu. Je les imagine tourner. Comme des engrenages qui changent quand l'origine est un tout petit peu plus lointaine.
J'ai essayé de mieux me préparer cette fois.
Je veux dire, pour cette performance. J'ai relu un livre de Barthes parce que le texte initial est de lui.
C'est un petit livre, je l'avais acheté au rayon Esthétique (non pas comme la beauté extérieure, chirurgie esthétique ou esthéticienne, mais comme philosophie). Je l'avais acheté en sélectionnant tous les livres les plus fins. En me disant que je me découragerais moins face à la difficulté de ce genre de lecture.
Parfois, il m'arrive la même chose qu'avec Joyce ou Beckett : je lis, et j'ai l'impression d'être ivre... ou très fatiguée... il y a un moment où je ne comprends plus ce que lis, où je continue à voir défiler les mots, sans trop voir plus loin que de phrase en phrase. Et puis, tout à coup, je remarque une phrase ou un petit bout qui fait sens.
On m'a dit que pour Joyce, c'était normal cette sensation. Qu'il ne fallait absolument pas essayer de comprendre une continuité, ni chercher un fil conducteur. Qu'il y avait une folie dans le texte.
Barthes sépare les lectures de plaisir des lectures jouissives, en disant qu'il manque quelque chose dans la lecture jouissive et qui traîne, qui reste, un manque. Et aussi, que c'est ce qui fait qu'on ne comprend pas tout. Alors qu'une lecture de plaisir, se lirait rapidement, plus rapidement, dans une continuité. Ou alors, peut-être que je n'ai rien compris.
Je pense qu'il y a quelque chose de l'ordre de l'ennui aussi dans les longues lectures. Les romans lents, qu'on lit possiblement par bribes. Un ennui qui fait que tout en lisant, on divague, on poursuit la lecture, mais en utilisant le livre et la parole comme support pour autre chose.
Je crois que Barthes disait qu'il aimait le texte pour ce qu'il n'est pas une « scène » (au sens ménager dit-il). Mais ça, je ne sais pas trop quoi en penser.
Il a l'air de vouloir dire qu'on ne se dispute pas en écrivant, parce qu'il n'y a qu'une seule personne ou une seule parole.
Moi, je me sens souvent en conflit avec moi même. Surtout quand j'écris, c'est là que je me dis le plus souvent que j'aurais dû écrire autre chose ou autrement, que j'ai oublié des morceaux et que je ne vais pas assez vite. Que les choses m'échappent. C'est très conflictuel. Mais j'aime ça.
Pas le conflit ! L'écriture.
Une fois, quelqu'un disait que les écrivains n'aimaient pas je ne sais plus si c'était écrire ou être lus.
Peut-être qu'ils n'aimaient pas leur public. Il me semble que c'était ça. C'était lors d'un débat pendant un autre épisode.
Juste avant, il y a eu cette performance où plusieurs personnes dessinaient. Il étaient alignés, tous sur un plan quadrillé devant leur page prête à dessiner. Ça m'a rappelé le concours des Beaux-Arts.
Et puis certains se jetaient des coups d'oeil par dessus l'épaule.
J'ai trouvé ça étrange de ne voir personne utiliser le réel comme modèle. Il y a une épreuve de réel à l'entrée aux Beaux-Arts. La plupart des participants ont eu l'air de se concentrer sur leur page. Silencieusement. Ils ont tenté d'occuper la place disponible. Une seule femme a commencé par un visage. D'autres en ont ajouté ensuite. Elle, elle a ajouté une spirale à côté, ensuite.
Mehdi a dessiné plusieurs fois le même motif, en le superposant. Un palmier, et aussi une étrange structure architecturale.
Quelqu'un a fait tomber quelque chose, il y a eu un bruit de verre brisé. Je ne sais pas si c'est une œuvre ou alors un des pots de verre de la performance précédente.
Pour revenir au dessin de Mehdi (qui performe un peu plus tard) il a superposé ces motifs jusqu'à saturer l'espace. Avant d'ajouter un cadre. Je me suis dit que la surface du papier délimitait déjà son espace, qu'il n'était peut être pas nécessaire d'ajouter un nouveau cadre. Et puis, j'ai pensé aux anciens musées, où les cadres servaient davantage à attirer l'attention sur ce qu'il se passait à l'intérieur des bords. Et ça faisait sens, quelque part, dans cet ensemble de dessins, de vouloir créer une bordure. Mais ensuite, ils sont allés brûler les dessins. Je ne sais pas si c'était une sorte de rituel, ni si les participants étaient au courant, par avance, de cette fin.
Octave a dit qu'il ne valait mieux pas avoir mis trop de cœur à la tâche. Et j'ai pensé que ça n'aurait pas de sens sans y mettre suffisamment d'intention. Comme dans chaque rituel un peu chamanique ou sorcier, il faut y croire et y mettre du sien, sinon ça devient ridicule, non ?
Et puis, avec ces dessins saturés, tous faits au charbon, j'ai vu cette masse noire. J'ai repensé à Beckett parce que Giacometti en parle dans une interview.
Je viens de remarquer que la musique est produite en live par un musicien devant son ordinateur. Il était déjà là avant que le son n'arrive, très concentré. J'ai l'impression que ça arrive souvent, que les DJ soient très absorbés dans leurs machines.
Je repense à Giacometti qui dit que Beckett lui dit (ça fait beaucoup d'étages) que la peinture se doit d'être noire. Je ne sais plus si c'est réellement ça. Dans tous les cas, il y avait une affaire de noir, ou de peinture qui se devait d'utiliser le noir. Comme Soulages.
Alors que souvent, on définit le dessin par l'utilisation du noir et du blanc, et la peinture par la couleur. Est-ce que c'est à cause de Rubens et de Delacroix ? Les critiques disaient que Delacroix, ressemblait à Rubens en ce qu'ils ne savaient, pas plus l'un que l'autre, dessiner. Ils dépassent avec la couleur. Mais j'aime Delacroix pour ça, parce qu'il aime dépasser, que pour lui la peinture, c'est justement sortir des lignes, comme si on bougeait la tête très vite et qu'on voyait flou. Je ne sais pas si ça arrive en bougeant la tête ou alors seulement quand on déplace une caméra très vite.
Les danseurs sont réapparus dans l'espace, ils sont arrivés presque nus et se rhabillent. Mais pas d'une manière fonctionnelle.
Ah ! Et puis pour revenir à cette performance dessinée, c'est aussi le silence qu'il m'a frappée. Ils ont tous dessiné en silence, n'ont jamais rien dit. Et puis ça a démarré avec une première personne qui s'est mise à dessiner et les autres ont suivi.
Là, tout le monde me tourne le dos, c'est assez étrange. Je me sens assez invisible. Encore plus dans ma bulle.
Je voulais parler de l'effet de groupe pour la performance dessinée parce qu'ils se sont aussi arrêtés comme ça.
On m'a dit que ça devait être difficile d'écrire en public. Mais en réalité, ça ne change pas beaucoup des situations habituelles. Il est vrai qu'un éventuel public peut lire.
Depuis jeudi dernier, j'ai reçu plusieurs mails de personnes qui me disaient que ma performance leur rappelait d'autres lectures, autoportraits, je ne me souviens plus de qui... Edouard Levé. Et aussi, me demandant ce qu'était une performance, ce qu'était une improvisation, et aussi comment m'était venue l'idée, en quoi était-ce relié à Barthes, et si je ne pouvais faire analyser tout ça par un psychologue ou quelqu'un de spécialisé.
J'ai trouvé ça très ennuyeux, toutes ces questions. Les premières parce que faire un cours d'Histoire de la Performance en réponse sur Facebook, ce n'est pas des plus confortables ; les suivantes, parce qu'il est très difficile d'expliquer ce que l'on fait. Souvent, on le fait parce qu'on ne sait pas faire autre chose, c'est le résultat d'une expérience, de tentatives, d'échecs, d'améliorations... Et puis on finit par faire.
Ça me fait penser à l'histoire du dulce de leche, cette mère qui aurait laissé cramer son lait sucré en s'occupant de son bébé... Comment lui est venue l'idée de laisser brûler le lait ? Est-ce qu'elle l'avait anticipé ?
Il y a des voix maintenant. Je ne sais pas si c'est la fin de cette performance. Je parle de celle des danseurs. Ida a l'air de sourire, je ne sais pas ce qu'elle regarde.
Je pensais aller prendre un thé entre deux performances cet après-midi, mais en fin de comptes, je suis restée pour tout voir. Aussi, il y a eu un peu moins de temps que prévu entre chaque.
J'ai un peu mal au dos. Sur le côté droit. C'est souvent de ce côté là. Je ne sais pas si c'est parce que j'ai l'habitude de porter mon sac à main sur l'épaule droite. Ou alors un reste de tendinite...
Mais je doute que quelqu'un vienne me faire un massage maintenant.
Parfois ça marche, on suggère quelque chose et quelqu'un vient. Comme quand je dis que j'ai un peu soif.
Là, j'ai encore un peu d'eau. Ça va. C'est important. On boit beaucoup plus quand on écrit. Je dis « on » mais peut-être que ça ne concerne que moi.
Un autre performeur, un peu plus tôt, buvait de la bière. J'ai trouvé que ça donnait une image un peu plus étrange. Plus proche de la soirée, du DJ en boîte de nuit, ou du musicien qui boit (de l'alcool) pour mieux créer. Je ne sais pas si ça marche vraiment. C'est bien connu que de nombreux écrivains buvaient beaucoup. Je ne sais pas si je saurais écrire, ivre.
Plus jeune, j'écrivais seulement le soir. Je me souviens d'avoir passé des nuits à écrire, il me semblait que la fatigue m'aidait. J'avais une fenêtre, une seule fenêtre dans mon studio qui donnait sur une cour. Et j'étais la seule à habiter si haut dans le quartier. Au cinquième étage.
Un jour, je me suis aperçue que la personne que j'observais de l'autre côté de la cour, allait aussi aux Beaux-Arts. On ne se connaissait pas tous en première année. Il y avait deux classes, assez nombreuses.
L'autre performance est terminée. Une partie du public s'est retournée, l'autre discute de l'autre côté de la foule. Mehdi dit quelque chose à une femme avec une très jolie robe. Elle s'interrompt pour saluer une autre femme avec un sac Mondrian ou avec un motif inspiré par Mondrian qui part.
Cyrielle dessine. Elle est appuyée au poteau métallique. C'est la seule à cette hauteur (assise) de ce côté là de la salle. Un homme est devant moi, il lit en gardant le menton très haut. Ça lui donne un air très digne. Il a un peu baissé le menton quand j'ai écrit ça. Ida rit avec lui. Ils doivent se connaître. Je me demande quel est leur lien. Une autre femme baille à côté. Elle discute de quelque chose avec une fille blonde à la caméra. Beaucoup se sont retournés et continuent de discuter. On est peu dans cet espace à cette hauteur, plus basse.
Je pense à ces moments, enfants, quand on est plus bas que tout le monde, qu'on essaie de se faufiler, de respirer aussi quand il y a trop de monde, de ne pas étouffer. Et puis, il y a ces moments où on se sent privilégié à cette hauteur là, de pouvoir passer entre les jambes, en courant, sans être trop remarqué car trop petit.
Tout à l'heure, une petite fille à chapeau était debout dans l'allée de la cour, pendant que le public de la performance dessinée sortait, elle était la seule à contre courant. Je me suis dit qu'on était tous des suiveurs alors qu'elle n'avait pas encore intégré cet esprit de continuer à suivre les autres. Commencer à dessiner quand tout le monde commence, s'arrêter quand tous finissent, plier le dessin avec tout le monde, et prendre son bocal. Sans poser de question. Une seule fille a caché son dessin derrière un pot de fleurs avant de se raviser et le brûler avec les autres.
Mehdi s'installe, j'ai hâte qu'il performe. Je parlais de lui dans le premier épisode, je ne le connaissais pas. Il portait une perruque blonde. Il me semble que c'est ça qui a inspiré l'oeuvre à ma droite : les deux perruques qui tournent sur elles-mêmes. Je suis juste devant la sono. J'espère que ce ne sera pas trop fort, ou alors suffisamment fort. Je ne sais pas ce que je préfère. J'aime bien aussi la musique très forte qui transforme la cage thoracique en caisse de résonance. Je n'ai presque plus d'eau.
Cette fois-ci, j'ai pris quelques notes. C'est la première fois que je fais ça. J'ai commencé en disant que c'était la première fois que je ne respectais pas l'horaire.
Quelqu'un a éteint le vidéoprojecteur. C'était aussi arrivé pendant la nuit blanche. Ça arrive quand on partage les espaces. Il n'y a jamais assez de prises.
Il y aura un micro. J'ai utilisé un micro au Palais de Tokyo. De manière presque plus scénographique qu'autre chose.
Merci pour l'eau.
Mathis est resté. Il avait dit qu'il ne resterait pas longtemps, qu'il avait un rendez-vous dans l'après-midi. Mais il a seulement une veste en plus.
Je vois plein de petites girafes dans le sac à côté de moi. Peut-être ne devrais-je pas en parler... Il s'agit peut-être d'une surprise pendant la performance qui suit.
Est-ce qu'il y a un buffet aujourd'hui aussi ? Comme pendant le vernissage ? Je me suis demandée s'il y avait quelque chose de prévu aussi pour cet après-midi de performances.
Je dis beaucoup « performance » et « performer ». J'aime bien le mot « après-midi » parce qu'on peut le dire au masculin et au féminin. J'aime bien les mots comme ça, et aussi ces prénoms ambigus ou doubles, comme « Camille ».
Il y en a d'autres, des mots comme ça. Je ne sais pas s'il existe un dictionnaire de mots hermaphrodites... Il y a des dictionnaires pour tout. J'ai même un dictionnaire des idées relatives aux mots et un autre des clichés littéraires. S'il n'y en a pas (un dictionnaire de mots plurisexuels), il faut le faire !
Ma mère rit, je ne sais pas pourquoi, elle regarde à l'extérieur. Peut-être que c'est la petite fille au chapeau qui n'a plus son chapeau qui la fait rire.
Mehdi branche des câbles. D'autres l'aident. Je me demande s'il performe seul ou s'il est à plusieurs.
S'ils sont plusieurs ? S'il est plusieurs ?
C'est un sac rempli de jouets à côté de moi. J'ai vraiment hâte de voir ce que ça va donner.
Il ne me reste qu'une demi-heure. Le timing est encore correct pour continuer à écrire pendant la dernière performance. Je ne sais pas à quelle heure est-ce que la soirée clôt.
Peut-être que je pourrais continuer, et personne ne s'apercevrait de rien, et alors je resterais là.
J'ai vu Candela qui est arrivée avec une amie à elle. Je suppose qu'elles sont amies. Mais je ne la connais pas. Les gens discutent plutôt par paires. Rarement en groupes plus grands. Il y a toujours une personne en rouge, ça, ça ne change pas.
Pendant le montage de l'exposition, le courant a sauté. Je crains un peu que tout saute avec l'installation de Mehdi. Surtout qu'il est branché sur la même multiprise que moi. Avec une deuxième multiprise.
Est-ce que c'est le seul branchement disponible ? Je regarde autour de moi mais je ne vois pas d'autre prise électrique. On verra bien.
On secoue la tête. Je ne sais pas si c'est rassurant. Mais je me sens plus intégrée ou plus en relation avec le public.
Ah, lui je le connais. Il était dans mon lycée. Je ne me souviens plus de son nom... J'espère que ça me reviendra vite. Il a dit « ah oui je la connais » et d'autres ont rit.
On était dans le même cours d'histoire de l'art je crois, ou alors en première... en terminale peut-être.
Je crois qu'on s'était croisés une autre fois à l'école des Beaux-Arts mais à Paris.
La musique commence, bientôt.
Sur le programme, c'était il y a 15 min. Mais je suppose que tout est un peu décalé. On porte beaucoup de sac-à-dos carrés de nos jours.
J'ai reconnu Santiago qui boit de sa gourde.
C'est un peu étrange la disposition maintenant, dans l'espace. Mehdi est un peu derrière. C'est comme si j'étais dans le public, mais de dos à lui. Ou devant la scène. Je ne sais plus très bien si je suis dans le public ou sur la scène.
J'aimerais parler de choses moins futiles. Parfois je n'y arrive pas. Là, je ne sais plus très bien ce que j'ai déjà dit. Je veux dire, au fur et à mesure des épisodes.
J'ai essayé de relire les premiers au moins, pour ne pas trop me répéter. Mais j'oublie. Entre ce que je raconte à mes amis et ce que j'écris...
C'est comme quand on discute avec quelqu'un... parfois je confonds ce que je voulais dire et que j'ai simplement pensé, et ce que j'ai réellement dit. On dit souvent que je suis plutôt silencieuse, ou avare de mots. C'est un contraste avec cette performance !
Je pars alors du principe que je n'ai rien dit du tout. Mais ce n'est pas vrai. Il me semble que j'ai déjà parlé de ça, des conflits parce qu'on n'a pas dit les choses. Parce que je n'ai pas dit les choses que je pensais avoir dites. C'est banal.
Maintenant j'ai mal à l'épaule gauche aussi. C'est une affaire de designer. La table ne doit pas être à la bonne hauteur par rapport à la chaise. L'autre fois, la chaise était moins souple mais un peu plus haute, je crois. J'avais les coudes un peu plus hauts. Ou alors c'est l'ordinateur qui est plus éloigné.
Mehdi commence souvent comme ça je crois, avec quelques accords qui ont l'air d'onduler dans l'air.
Est-ce que je suis la seule à associer des images et des sons ? On parle souvent de ces personnes qui voient des couleurs pour chaque note. Ou qui ont une oreille absolue, mais ce n'est pas mon cas.
Kupka, dans la jeunesse, faisait partie d'une secte où tous les membres étaient végétariens, vivaient en communauté et dessinaient en musique. Il s'est très vite éloigné de cette secte.
La musique joue seule. Il n'y a plus personne sur la scène.
Je suis un peu inquiète. Mais ça fait peut-être partie de la performance. Ou alors, il manquait quelque chose. Un objet laissé en coulisse.
Un verre d'eau. Comme moi.
Il porte un chapeau, à la place de la perruque. Il boutonne sa chemise, et demande de l'aide.
C'est amusant, parce qu'il demande ça au micro. Alors on ne sait pas très bien si c'est déjà la performance ou pas. Il chante que j'écris quelque chose sur lui. Et c'est vrai.
Peut-être que cette fois je pourrais enfin dialoguer avec quelqu'un. Ne plus être seule dans ma bulle. Est-ce que ça deviendrait une sorte de duo ? Je n'ai jamais fait de duo, je crois.
Ça doit être sympathique, mais c'est effrayant d'être projetée ou intégrée dans un duo sans en avoir discuté avant. La voix se répète en boucle. C'est fini.
C'était un peu oppressant.
Le public attend. Alors moi aussi.
Professeur Hans Skeutch ? Scotch ? Les perruques...
C'est une expédition. Il y a beaucoup de performances et d'oeuvres qui sont vues comme des voyages... Ali Gator... ça j'ai compris. J'ai encore des doutes pour le premier.
Je ne sais pas si je suis la seule à n'avoir pas saisi.
Je n'ai plus d'eau maintenant.
Mehdi utilise un tableau, comme Eric Duyckaerts, dans ses performances, où il devient aussi un professeur, qui réalise ses diagrammes, ses dessins de bactéries et de micro organismes sur des paperboards en se filmant.
Il digresse de la même manière.
Ce crocodile ressemble à un monstre un peu étrange, je ne sais pas à quoi il me fait penser.
Maintenant, j'ai peur de déranger cette performance, j'espère est assez discrète pour ne pas altérer la pièce à côté.
J'aime bien cette histoire de voyage scientifique. On est toujours un peu explorateur, je crois, dans un lieu qu'on ne connaît pas. J'ai éteint la lumière pour qu'on puisse peut-être mieux voir Mehdi qui est toujours derrière moi. Je ne peux que l'écouter.
Comme lors de la première soirée de performances, il y a un an. Je ne pouvais pas tellement voir ce qu'il se passait. Seulement écouter.
Mais là, je lui tourne le dos.
Il y a des dessins dans son calepin. Je ne sais pas s'il lit un texte sur l'autre page ou s'il improvise à partir d'une sorte de storyboard.
Paperboard, storyboard.
C'est drôle de parler de poésie lorsqu'on ne comprend pas bien un texte. On en revient peut-être à cette séparation entre le texte de plaisir et le texte de jouissance dont parlait Barthes.
Je me sens un peu obligée de reparler de Barthes, c'est quand même à partir d'un premier texte que nous sommes tous réunis ici. Au moins, les artistes invités.
Je crois que Mehdi collectionne autant de gadgets étranges que moi. J'ai une boîte comme ça chez moi, mais ce sont des objets lumineux.
J'ai perdu le fil de la narration, le voyage qu'on nous raconte.
C'est drôle parce qu'il a déjà dessiné ces palmiers quand il participait à la performance dessinée. Et sur facebook, il s'appelle Palmtree, je me demande d'où vient ce motif du palmier.
J'aime bien ce passage sur l'ouverture et la fermeture.
Une fois, quelqu'un m'avait dit qu'on avait envie de venir me parler parce que j'avais un visage ouvert... je ne sais pas ce que ça veut dire.
Une autre fois que j'étais trop souriante pour être française. Je parle souvent de cette question de nationalité. Ça intrigue beaucoup les gens, de savoir si quelqu'un a eu des gênes qui ont voyagé dans le monde, et par où sont passé ses ancêtres. Comme pour expliquer beaucoup de choses.
Parfois je me sens agressée dans ces conversations.
Comme si on me reprochait d'avoir eu une famille de voyageurs, et que ça se lisait sur ma figure. De ne pas en pouvoir m'en détacher et que ce soit le filtre, le prisme et en même temps le départ pour tout le reste.
Souvent, j'évite de dire tout de suite mon prénom pour ça. Mais de plus en plus, on me dit que j'ai un accent, que c'est normal. Au moins, un accent du midi.
Ou alors, que c'est normal d'avoir un accent quand on n'a pas un prénom qui sonne français.
Je ne sais pas à quoi c'est dû... si c'est une idée... peut-être que je refuse d'entendre que bien qu'ayant grandi à Paris, je puisse avoir quand même un accent... Mais en général, on remarque mon « accent » quand j'ai déjà dit mon prénom ou alors quand je dis que j'ai des parents argentins. Comme si ça révélait quelque chose, une chose essentielle qu'on n'avait pas pu réellement nommer plus tôt.
Et puis, alors, tout de suite, il s'agit de me faire l'éloge de l'Amérique Latine, si joyeuse et où il fait bon vivre... mais ça, j'en ai déjà parlé.
Je suis toujours un peu exaspérée par ça. Cette situation où j'ai envie d'aller complètement contre cette idée. Comme si on voulait me vendre le pays de mes ancêtres (de quelques générations) pour que je veuille bien y aller, m'y installer. Comme si, par le fait d'un accent, on voulait me dire que je ne saurais jamais me fondre totalement dans la masse locale, plus locale que moi, puisque que je serais toujours étrangère à l'oreille. Et même avec ma tête ouverte !
Mehdi s'est arrêté pour lire, je crois.
Je me demande si certains pourraient se dire que j'ai un accent à l'écrit, ou que je sonne étrangère à l'écrit.
Une fois, on m'a dit que j'écrivais plutôt bien le français pour quelqu'un dont les parents ne sont pas natifs. Je me demande ce que ça veut dire. Peut-être qu'il faudrait que je laisse couler cette affaire, que j'oublie. Oui, un vortex pour cette situation. Ou alors, des phrases toutes faites, réponse à ça. Ou une poker face comme on dit. Une sorte de pilote automatique. Ou alors, une musique comme celle-ci. J'imagine que c'est une sorte de cri, un peu déformé. Ou ce genre d'accessoire, c'est pratique, on peut le garder dans la poche.
Je viens de dépasser le temps qui m'était imparti, mais personne ne s'en est aperçu. Peut-être que je peux continuer comme ça, jusqu'à temps qu'on vienne m'enlever de là. Est-ce que quelqu'un oserait réellement me tirer de l'ordinateur ? Je me demande si deux hommes viendraient me soulever par les bras et débrancheraient tout en même temps ou alors si on viendrait gentiment me dire « on ferme ».
C'était arrivé au Palais de Tokyo, un gardien qui avait décidé de la fin.
Je n'avais pas remarqué qu'on avait fermé la porte du lieu.
Cette fois-ci, j'avais essayé de préparer davantage, et pourtant, je n'ai pas la sensation d'avoir écrit quoique ce soit de plus substantifique que les fois précédentes.
Ça me fait penser à cette « substantifique moelle » celle de Gargantua. C'est Gargantua, n'est-ce pas ?
Ou alors Young ? Je confonds tout.
Ce chien, qui ronge l'os jusqu'à la substantifique moelle.
Les artistes et les djihadistes ? J'ai entendu ça. Ça me rappelle ces arrivées à l'aéroport avec mon père. Je me souviens que si mon père ne taillait pas sa barbe, on était sûrs d'être contrôlés à la douane. C'était il y a des années, mais il y avait déjà un profil type... des portraits robots.
Je ne sais pas si c'est bientôt fini ?
Un autre ami qui travaille pour des entreprises de sécurité me disait que les portiques du Louvre ne servaient à rien, qu'on ferait mieux de laisser passer tout le monde en ne s'arrêtant que sur les personnes ayant un aspect étrange... des hommes à grands manteaux, en plein été... ou alors des personnes trop hésitantes... c'est vrai qu'on ne voit que rarement des personnes, des touristes hésitant à l'entrée du Louvre.
Je crois qu'il y a quelqu'un qui travaille derrière dans les ateliers de la Villa Belleville.
Au Louvre, pour voir le circuit des chefs-d'oeuvres il suffit de suivre la foule. Les touristes ne se perdent pas, il font le même circuit. J'avais évoqué déjà cette idée d'une collègue, d'installer un tapis roulant sur ce circuit.
Mais on ne pourrait jamais bifurquer. C'est important de se perdre un peu.