(c) Guillaume Lebrun, 2018
Do Disturb, Palais de Tokyo (Paris)
Je vais essayer de commencer à l'heure.
Je commence souvent quelques minutes avant ou après. Rarement à l'heure que j'ai annoncée. Pourtant, j'aime bien les gens ponctuels. On dit que pour être ponctuel, il faut être en avance. Ça me dérange un peu cette expression.
Hier, j'ai croisé un ami dans un café. Il voulait me parler d'étymologie.
C'était amusant, il cherchait à m'expliquer l'origine du verbe -tuer-. Lui, il a appris le japonais. Il dit que toutes les langues sont construites de la même manière, ou avec les mêmes éléments.
Ça m'a gênée parce que je pense plutôt que la construction des phrases, leur organisation, leur structure, marque aussi une culture, ou une façon de penser.
Il m'arrive souvent ce genre de situation, où des gens essaient de m'expliquer des subtilités du français.
Je pense que je maîtrise assez bien la langue. Après tout, je suis née ici, à Paris.
Ce n'est pas parce que mes parents sont argentins, que je devrais avoir des lacunes.
Une fois, un professeur de géographie a voulu me convaincre que « les bilingues » (les pauvres) aurions plus de mal dans la vie, parce que le cerveau devait tout traduire dans deux langues. Je n'ose pas imaginer le cas des polyglottes.
Et puis, c'était dans une école pour enfants bilingues. Elle ne devait pas avoir une très belle image de nous.
Ça m'a souvent servi de parler plusieurs langues : pour trouver du travail, pour aimer les mots... pour communiquer aussi.
De temps en temps, j'essaie de faire semblant.
Surtout quand on me demande d'où je viens.
Hier, j'ai voulu aller faire des photocopies en bas de chez moi, le type du magasin m'a demandé si j'étais Marocaine. Je lui ai répondu que j'étais Polonaise. Et c'est un peu vrai, parce que mes arrière grands-parents ont émigré de Pologne. D'ailleurs, mon nom de famille est polonais.
Il m'a dit qu'il n'avait jamais vu de polonaise.
J'entends l'oeuvre de Brieg. J'ai voulu apprendre à jouer d'un instrument de musique, mais je n'étais pas suffisamment disciplinée.
Il y a un autre commerçant à côté de chez moi, qui tient la même boutique depuis 10ans. Il vend des thés. En été, il vend du thé à emporter.
Plusieurs magasins changent dans mon quartier, il y a deux restaurants qui ouvrent.
L'un d'eux est corse. Il propose beaucoup de charcuterie. Dans mon quartier, beaucoup de personnes sont végétariennes.
Ça se sent parce que tous les supermarchés proposent beaucoup plus de plats végétariens que dans d'autres quartiers.
On s'en faisait la remarque avec ma mère la semaine dernière. Elle dit que les Carrefour proposent différents produits selon les quartiers, ou la demande des clients.
Près de chez elle, il n'y a pas tellement de particularité. « un peu de tout »
Je déteste les gens qui disent « un peu de tout ».
C'est la dernière performance que je fais ici, et pour ce mois d'Avril. Il y en aura d'autres en mai.
J'aime bien dire « d'autres » au pluriel, comme j'aime l'accent sur « vôtres » ou « nôtres ».
Je ne sais plus s'il est encore correct de l'écrire comme ça ou si depuis la réforme de l'orthographe il faut s'en passer.
Ça crée des confusions, quand on enlève les accents.
Parfois, je me dis qu'on devrait apprendre l'étymologie en même temps qu'à écrire.
Je vois Inès qui arrive. J'aime bien sa jupe. On se connaît depuis très longtemps.
Il n'y a pas si longtemps, je lui ai dit qu'on avait passé plus de temps dans nos vies en se connaissant, ou en connaissance l'une de l'autre que sans.
J'aime bien cette idée. Elle a manqué une marche en entrant. Elle m'avait dit qu'elle venait avec une amie mais je ne sais pas bien qui c'était.
Ce matin, je faisais deux visites guidées. Deux fois la même. Ou le même sujet. Deux fois Delacroix. J'adore Delacroix. Je pense qu'on peut dire que je l'adore.
La première peinture que j'ai voulu étudier, c'était La Mort de Sardanapale. Et plus j'en apprends sur lui, plus je l'aime.
Peut-être que c'est ce que ressentent les groupies... Une admiration. Pas tout à fait de la fascination, mais une envie de contempler intensément et de partager ça avec d'autres.
Encore « d'autres » au pluriel.
Ça fait rire Inès. Elle me regarde d'un air complice.
La prochaine fois que je ferai cette performance, ce sera pendant un festival de musique.
D'ailleurs, Inès y projette un film. C'est chouette.
Je dis aussi « c'est chouette » très souvent.
Mais j'en ai déjà parlé.
Il y a toujours un problème quand on fait des visites guidées. Ce matin, le ticket ne passait pas.
Je ne sais pas si j'ai envie de parler de ça.
Je devrais essayer de changer de sujet.
En venant, ou plutôt, en allant au métro, j'ai vu des traces de pieds, humides, sur le trottoir.
Je me suis demandée ce qui avait poussé quelqu'un à marcher les pieds mouillés dehors.
Et puis, il fait très chaud. Et le sol est sale.
Une entreprise est venue changer une fenêtre chez moi. Hier matin. Ils ont essayé de tout couvrir d'une bâche, mais, évidemment, il n'ont pas couvert les murs.
J'ai trouvé qu'ils n'étaient pas très équipés. Pas de masque, pas de gants.
J'ai voulu leur en proposer, mais je me suis dit que si j'allais à eux avec gants et masques, ils pourraient me dire de faire moi-même la pose de la fenêtre.
Alors je suis restée dans la cuisine et je leur ai fait un café.
J'ai choisi deux tasses différentes. Mais je n'avais pas de sucre à leur proposer.
On entend la vidéo d'Alison. Souvent, le son se met en veille. Reynald dit que c'est au bout de quatre heures.
Plusieurs personnes passent dans la cour. Mais peu entrent.
Ça n'a pas l'air très fréquenté cette galerie.
Mais ça ne fait rien. J'aime me donner ce temps pour écrire. Sans ça, je ne le fais pas.
J'écris beaucoup « j'aime ».
J'ai un ami qui dit qu'il faut arrêter de demander aux gens ce qu'ils font dans la vie, et plutôt leur demander ce qu'ils aiment.
Lui, il dit aimer l'Art, et toujours se présenter humblement comme « artiste ». J'ai l'impression qu'on ne peut pas dire humblement qu'on est artiste.
Mais pourquoi pas ?
Peut-être que c'est une vision dans la société...
Une fois, je me suis présentée comme artiste avant une conférence et on m'a répondu « désolé ».
Je ne sais pas ce qu'il entendait par là. Je ne sais pas si c'est une tare.
Ma mère me disait qu'artiste, c'était le meilleur métier au monde. Un métier difficile, mais le plus libre.
Je ne sais pas si elle aurait accepté que je fasse autre chose.
C'est drôle parce que c'est souvent plutôt l'inverse.
Je dis beaucoup « c'est drôle ». Mais c'est la première fois aujourd'hui.
Je suis allée déjeuner dans un bar, entre deux visites où j'ai mangé une salade d'algues.
Il paraît qu'il faut consommer davantage d'iode.
Quand on me dit ce genre de choses, je deviens très soucieuse. J'essaie de faire attention au magnésium, au calcium, à la B12, à l'iode.
J'ai trouvé un complément qui s'appelle Veg1. On le recommande à tous les végétaliens.
Mais je n'aime pas tellement l'idée de prendre un médicament tous les jours.
J'avais une réunion de travail, il y a une dizaine de jours. Avec le chef d'une entreprise qui loue des œuvres d'art pour les bureaux.
C'était un déjeuner.
Il m'a confessé qu'il aspirait à ne plus jamais manger de nourriture. Il trouvait ça trop trivial.
Il commencerait toutes ses journées avec une assiette de pilules.
J'ai trouvé ça triste. Et angoissant.
Tous les matins, il choisit une œuvre d'art et l'envoie à toute sa liste de contacts. Parfois, il écrit quelques lignes.
Pour commencer la journée déjà dans l'Art.
Mais c'est une reproduction. Parfois, il n'a pas fait l'expérience de ces œuvres. Je me dis que l'accès à cet Art est un peu limité.
C'est un problème quand on ne voit que des reproductions. Ou qu'on étudie l'Histoire de l'Art par des diaporamas.
Les touristes sont souvent déçus de La Joconde. Mais ils prennent quand même une photo. L'ordinateur voulait me faire écrire photocopie.
Je me demande ce que serait une photocopie de La Joconde.
Pour certains, Mona Lisa, c'est De Vinci en femme. Je trouve ça tiré par les cheveux.
Il paraît qu'il faudrait la nettoyer et que le sfumato n'est pas si fondu que ça dans la réalité.
Ce serait ça dommage. On perd quelque chose.
De toutes manières, on est mis à distance. Barrières, vitres... et puis, un temps limité pour rester devant. Ce n'est pas une expérience de l'oeuvre très saisissante.
Une fois, j'ai pu rester seule devant la peinture. Tout près.
Un des avantages du métier.
C'était pour une émission de télévision japonaise. Il y a deux mois. Je ne comprenais rien à l'interview. La traductrice ne savait pas traduire la subtilité de la langue ni dans un sens, ni dans l'autre. C'était frustrant. Elle s'en excusait sans cesse. Comme font beaucoup les japonais.
Je me demande ce qu'ils ont traduit de ce que j'ai dit. Et si mes collègues japonais seront outrés.
Je n'ai pas encore reçu la vidéo. Elle sera projetée à l'ouverture d'une exposition à Tokyo sur le thème du portrait napoléonien.
Je n'ai pas compris pourquoi ils avaient fait appel à moi pour parler de Napoléon au Louvre.
Ça me fait encore rire.
On m'avait transmis une liste d'oeuvres desquelles il faudrait parler, mais la personne qui menait l'émission avait envie d'en présenter d'autres.
Parfois, j'ai un peu improvisé. J'espère que ça ne se verra pas trop.
J'aime bien donner mon avis sur les œuvres pendant mes visites guidées.
J'essaie de le faire d'une manière dynamique et un peu provocatrice. Les gens ont l'air d'apprécier. Je reçois beaucoup de messages ensuite qui disent que ça donne envie de retourner au musée.
Ça me fait plaisir, mais je ne sais pas s'ils le font réellement.
Il y a souvent beaucoup de file d'attente. Surtout au Louvre. Quand je peux, je fais passer des gens avec moi. Je me dis que j'aimerais bien qu'on fasse pareil pour moi. Ou alors, en voyage.
Mais je ne voyage pas tant que ça en ce moment.
Inès va en Argentine bientôt. Ça fait plusieurs années qu'elle n'y est pas allée. Parfois on dit « retourner » dans un pays. Je trouve ça étrange. Parce qu'on ne dit ça qu'à ceux qui « ont des origines ». je déteste cette expression.
Qui naitrait sans origine ?
À part le Golem peut-être. Et encore... il a lui aussi un créateur, et puis, sa matière.
J'ai failli me décider à aller en Argentine aussi. Et puis, je me suis ravisée. Trop compliqué.
Mais parfois, je regrette. Je me dis que ça aurait été plus facile de profiter de son séjour ou celui d'un autre ami, Ronen, qui en revient à peine.
Peut-être que j'irais en décembre. Ma mère veut y aller en décembre, pour ne pas passer autant d'hiver ici. Est-ce qu'on peut dire « passer de l'hiver » ?
Je ne sais pas... Je suppose qu'on comprend quand même.
Avec elle, ce serait différent. La même galère. C'est elle qui le dit.
Et puis, mon appartement est mal isolé, il fait humide l'hiver.
J'ai envie de déménager parfois.
Je me dis qu'un jour, j'achèterais un appartement. Quelque chose de modeste.
J'ai des amis qui me disent qu'être propriétaire, c'est terrible. Que des emmerdes qu'on n'a pas quand on est locataire. Je pense que c'est un truc de propriétaire de dire ça.
Pourtant, ils ne le sont pas tous. Mais ceux qui disent ça et qui sont locataires ont passé l'âge limite pour demander un prêt à la banque.
Comme mon ami David. Il va bientôt avoir quarante ans.
Il s'est découvert juif il n'y a pas longtemps. Il dit qu'il avait un pressentiment.
Parce que sa famille faisait des blagues. C'est sa grand-mère paternelle qui serait juive et l'aurait dissimulé.
Quand j'étais petite, on m'avait recommandé de ne pas dire que j'étais juive. J'ai gardé le secret, jusqu'à ce que mes amis se dévoilent petit à petit.
J'ai de plus en plus d'amis qui me disent qu'ils sont juifs par un arrière grand-oncle.
Et qu'ils le sentent, parce qu'ils aiment lire. Qu'ils comprennent mieux Walter Benjamin ou Freud maintenant.
Je ne sais pas si c'est une histoire de Kabbale.
Je n'ai trouvé qu'une toute petite tasse pour boire de l'eau. L'évier est plein de verres sales. Je me demande si la stagiaire qui surveille l'expo fait des fêtes ou alors si elle utilise plein de verres exprès.
Chez moi, j'essaie de n'utiliser qu'un set de vaisselle. Pour ne pas avoir plein de vaisselle qui traîne partout.
Mais j'en achète beaucoup. Des tasses de toutes sortes, des verres... Il y en a que je n'ai pas encore utilisés. C'est ridicule.
Je vais souvent dans les magasins de vaisselle. J'achète des théières en ce moment.
J'en ai une bleue. Mais elle est difficile à nettoyer.
Je dis beaucoup « mais ». Alors que je n'aime pas tellement qu'il y ait des « mais ». Je préfère les phrases directes, qui ont un sens précis, celles qui vont droit au but.
J'aimerais écrire des choses poignantes.
Avant, j'essayais de lire Beckett, tout Beckett. Parce qu'il a cette façon d'être direct en parlant de choses banales. Pas vraiment banales. Plutôt... des non événements.
J'aime bien ses textes pour la radio. Moi aussi je voudrais faire de la radio. Écrire ou lire des textes à la radio. Animer une émission.
Mais je ne sais pas si j'ai une voix très radiophonique.
Je ne me suis jamais enregistrée. Je veux dire, de manière professionnelle.
J'ai déjà eu un dictaphone.
On dit qu'on n'aime pas s'écouter et qu'on se trouve toujours moins photogénique que ce que l'on attend de soi.
J'ai entendu « il y a un petit accident ». Je ne sais pas ce que ça peut bien être.
C'est inquiétant dans une galerie d'art.
Même si, ici, les artistes ne sont pas très cotés.
L'autre jour, j'ai vu un livre, une sorte de dictionnaire ou de répertoire de la cote des artistes.
J'ai trouvé ça absurde parce que ça a pu changer entre temps.
Je crois que les experts se servent de bases de données en ligne.
On m'a dit ça. Je répète.
On me l'a dit, je ne sais plus qui, parce que j'ai fait une expertise dans un musée il y a quelques temps.
C'était très drôle. Il fallait ouvrir toutes les armoires et vitrines pour inventorier ce que le musée possédait et dire à la fin de chaque journée ce qu'ils pouvaient garder, ce qui était précieux et ce qu'ils pouvaient jeter.
J'ai établi dans le rapport qu'il n'y avait que trois éléments à sauver.
Je ne sais pas si j'ai été très juste.
Après, j'ai pensé que c'était triste qu'on m'appelle pour un musée qui ferme. Même un petit musée.
Il y en a beaucoup, des petits musées qui ferment.
Là, tout était mal entreposé. Les toiles étaient rayées ou trouées, tout était sale, dans la poussière.
Peut-être que je dématérialise les œuvres ou que je fais de la performance pour ça.
Pour ne pas risquer de prendre la poussière. Ou devenir poussiéreuse.
Souvent, au début d'une visite guidée, je précise que j'ai pris une douche. Et les gens s'approchent davantage. Ça me permet d'économiser de la voix.
Les filles ne sont pas revenues. Je me demande quel est le problème au fond de la galerie et quelle œuvre il concerne.
On n'entend plus la vidéo d'Alison. Elle est en Chine. Je sais que l'école a organisé des échanges avec la Chine, mais elle y est depuis un moment maintenant. Je ne sais pas si ça fait encore partie de ce cadre là.
Il y a quelques années qu'elle fait des clips. Mais avant, elle se déguisait, se maquillait, et faisait des clips qui avaient une touche plus artisanale. Elle est de plus en plus pro je crois.
Peut-être que je me trompe.
J'ai oublié le nom de la stagiaire. Mais je sais qu'elle est étudiante aux Beaux-Arts.
Je ne sais pas ce qu'elle tape sur son ordinateur. Je me demande si on a l'air de faire la même chose. Ce serait embêtant, ou drôle.
Peut-être qu'elle me copie.
Elle m'a dit qu'on lui avait demandé si cette performance était la même qui avait eu lieu au Palais de Tokyo, et qu'elle ne savait pas répondre mais qu'elle pensait que c'était la même personne.
J'aime bien cette œuvre de Thomas Tudoux. Et puis, il est sympa. Il a toujours l'air stressé. Je pense qu'il l'est profondément. La dernière fois que je l'ai vu, j'ai trouvé qu'il avait les mains plus tremblotantes qu'il y a quelques années.
Il enseigne maintenant aux étudiants de première année. Je ne sais pas si ça le stresse davantage.
D'autres personnes entrent dans la galerie. Je ne cesse de me demander comment les gens arrivent ici. C'est tellement compliqué, il faut un code le week-end, ce n'est pas très bien indiqué. Et puis, les autres galeries peuvent laisser le portail ouvert.
Il faut vraiment vouloir venir voir ce qu'il se passe pour entrer.
On dit que l'art se mérite. Dubuffet a écrit qu'on pourrait payer les visiteurs parce qu'une œuvre sans public n'existait pas. Et c'est vrai. Seulement, les budgets dévolus à la culture n'ont pas l'air de permettre de subventionner les visites des français dans les musées. Et pas que des français, de tous.
Vous imaginez, on serait payé pour observer les œuvres, réfléchir, se positionner, avoir un point de vue critique.
Ce serait un grand pas en avant, à mon sens.
Il y aurait probablement beaucoup plus de monde partout. Les conditions pour voir les œuvres seraient moins confortables en revanche.
Comme devant La Joconde. Finalement, je ne sais pas si c'est une si bonne idée.
Il faudrait au moins que ce soit gratuit partout alors.
C'est dommage de se priver ou se sélectionner les musées en fonction du prix de l'entrée.
J'en connais qui font ça. Qui choisissent les expositions en fonction du prix.
Pas du sujet, ni du lieu.
Peut-être que c'est une façon de se laisser surprendre par quelque chose, d'aller moins là où l'on s'attend à... ou alors de prendre le risque de ne pas aimer.
Je vois de moins en moins de gens ne pas aimer des expositions. Peut-être qu'ils ne le disent pas.
Je ne sais pas où est-ce qu'on peut dire qu'on n'aime pas une exposition.
Dans les livres d'or, il n'y a que des messages élogieux.
Seulement sur facebook ou les réseaux sociaux. Là, on lit davantage de critique sévères.
Parfois, c'est trop.
Et puis, tout devient matière à débattre.
La première fois que j'ai présenté un petit ami à ma mère, ils ont voulu débattre. C'est devenu presque violent et il est parti. J'en ai voulu à ma mère. Et à lui aussi, de ne pas savoir se contenir.
Je ne savais plus quoi faire.
Plus tard, j'ai compris que c'était pour animer la situation et ensuite détendre l'atmosphère.
Maintenant, je ne lui présente plus tous mes petits copains.
Ou alors, je fais en sorte qu'elle les croise très rapidement. Plus tard, on voit.
J'ai déjà dit « plus tard ».
Alors que moi, j'aime bien rencontrer les familles. Souvent, je trouve que ça dure trop longtemps. J'aimerais bien que ça puisse être plus rapide.
Je suis un peu solitaire.
Je me suis rendue compte que de temps en temps je déconnecte. On dit ça « déconnecter » pour s'abstraire d'une situation.
Et puis, je divague, un peu comme maintenant.
Mais je suis toujours rattrapée par la conversation.
J'aimerais que les conversations soient plus profondes ou alors qu'on échange des opinions. Souvent, les conversations sont assez banales.
Je ne sais pas comment je peux changer ça. Lancer un thème qui prenne.
Je ne sais pas faire ça.
Je dis beaucoup « je ne sais pas ».
Il n'y a plus d'eau. Merci.
Je me demande si elle va prendre une nouvelle tasse ou réutiliser la même. C'est un nouveau verre. Plus grand.
Quelqu'un d'autre est entré. Un peu enjoué. Je suppose que c'est la météo qui veut ça. Ou alors, il a peut-être reçu une bonne nouvelle aujourd'hui. Je crois qu'on garde la sensation d'une bonne nouvelle pendant plusieurs heures, comme une sensation physique qui donne du pouvoir, la volonté d'aller de l'avant.
Je suis très marquée par les bonnes et les mauvaises nouvelles.
Surtout les mauvaises. J'essaie de lutter contre ça. Alors chaque soir, avant de m'endormir, je pense à une belle chose. Pour que le dernier souvenir de la journée soit un beau sentiment.
Parfois j'oublie et je fais cauchemars. Dans presque tous mes cauchemars, je suis enceinte.
Je ne sais pas quelle est cette angoisse. Inès rit.
Peut-être qu'elle saurait l'expliquer ou me donner l'ébauche d'une interprétation.
Souvent, on comprend mieux avec quelqu'un d'autre.
Mais ce type de cauchemars remonte à plusieurs années, ou se produit depuis plusieurs années.
Peut-être que ce sont des projets, qui échouent, ou qui me font peur.
La première fois que j'ai fait ce type de cauchemar, j'étais préoccupée de savoir si les gênes du père étaient récessifs.
Et la dernière fois, je demandais à ma mère de couper le cordon.
Je lui ai raconté. Elle a trouvé ça symbolique. Ou alors cette idée de couper le cordon avec moi. Je ne sais pas si c'est nécessaire ou alors s'il s'agissait d'autre chose.
Dans ce cauchemar, le bébé était hideux. Je n'emploie pas ce mot à la légère.
On me dit de lire Annie Ernaux. Je ne suis plus tellement sûre de l'orthographe.
Anna me l'a déjà conseillée. Mais il arrive que je n'aime pas les livres qu'elle me prête.
Elle m'a donné à lire La Tache de Roth. J'avance très lentement. Je trouve que le rythme est difficile, il y a trop d'éléments d'actualité propres à la société américaine des années 60.
Je ne m'y connais pas suffisamment. Il doit y avoir un documentaire quelque part. Ou sur Youtube. Peut-être que ça faciliterait la lecture.
Mais s'il faut regarder un documentaire avant de lire chaque roman... bon, ou pourquoi pas.
Ou alors il faut prendre les choses avec plus de distance et ne pas essayer de tout comprendre, voir comment le récit avance.
J'ai l'impression de passer à côté de certaines choses.
On entend à nouveau la vidéo d'Alison.
Les photographies de l'exposition rendent bien. Surtout la partie de Brieg, mais il est un peu graphiste alors je suppose qu'il a une idée de ce que ça peut donner, esthétiquement, ou graphiquement sur un mur.
Je ne fais pas tellement attention à ça.
La stagiaire est sortie répondre au téléphone et son ami s'est levé au même moment.
La semaine dernière c'était un autre stagiaire avec sa copine. Je crois qu'ils font tous ça, de venir avec quelqu'un ou par paire.
D'autres personnes sont entrées. La stagiaire explique qu'il y a une performance. Je ne l'ai pas briefée avant. Je ne sais pas si elle est très au courant du projet. Une femme porte un chapeau vert, assorti à son short. C'est rare de porter le vert comme couleur dominante. En général, c'est plutôt par touches.
Peut-être que je dis n'importe quoi.
Inès porte un haut rouge, et j'ai déjà remarqué qu'il y a toujours quelqu'un qui porte du rouge.
Je ne sais pas ce qu'il se passe dans la cuisine. Je crois qu'il y a plusieurs personnes.
Il y a deux cuisines dans cette galerie et deux toilettes, deux entrées aussi. Peut-être qu'on a cassé un mur pour faire cet espace.
C'était une galerie d'art avant, et maintenant c'est devenu un espace qui est loué pour des événements privés ou pour la fashion week. C'est plus rentable pour la galeriste.
C'est étonnant parce que c'est au milieu de cette rue de galeries. Il devait y avoir pas mal de public. Mais peut-être qu'elle n'avait pas une grande liste de collectionneurs ou d'acheteurs. Peut-être que son goût n'était pas pour des choses qui se vendent ou qui s'achètent en ce moment.
C'est difficile de lutter contre ça.
J'entends une des œuvres de Brieg. Il a tenté de reconstruire une table IKEA mais en y intégrant des éléments d'une guitare. Je ne sais pas s'il serait satisfait de cette description.
Il y a un cinéma qui a été investi par IKEA.
Les fauteuils ont été remplacés par des lits IKEA. Je ne les trouve pas confortables. Et puis, je ne sais pas s'ils changent les draps après chaque personne. Certains lits mentionnent quatre ou six places. Je me demande si c'est commode.
Dans tous les cas, c'est une drôle de publicité.
Peut-être qu'à l'avenir on aura de plus en plus de lieux sponsorisés de cette manière.
Des restaurants avec tous les mobilier de la même enseigne, des écoles avec tout le matériel de la même marque, ou peut-être seulement une salle de classe avec des tables Habitat et des stylos Bic.
Peut-être qu'il y aurait une rame de métro redécorée par Conforama.
Je ne peux pas tellement continuer, je me rends compte que je ne connais pas suffisamment d'enseignes. Je crois que je n'y prête pas beaucoup d'attention.
Ce matin, dans le métro, j'ai remarqué un homme dont je me suis dit qu'il était mal habillé. Il portait un jogging Nike.