Ma démarche artistique se situe au croisement des arts visuels et de la littérature. Je pense installations et performances comme des modes de publication, d'oralité, des dispositifs d'expérience sensible qui ouvrent la voix et l'espace à des habitudes, des langages, des attitudes alternatives, à la composition d'un collectif fictionnel qui s’incarne dans la situation d’énonciation, une clairière ouverte où devenir une île déviante. Il s’agit là d’habiter l’imaginaire, les images et les textes, de mêler les philosophies créatives d’Isabelle Stengers et de Gaston Bachelard.
Par le travail du fragment, du découpage et du collage (cut-up spatial, visuel et textuel), je développe une approche qui considère l’instalaltion comme une paysage où toute position est éphémère. Cette démarche s'intéresse à la recomposition contextuelle, à l'agencement des espaces, l'agentivité et le performativité des formes, des images et des paroles.
L'anthropologie critique est au cœur de mes recherches car elle m'amène à mettre en question la domestication de l'être humain par lui-même, son rapport à la classification de la nature héritée des Lumières, son préjugé substantialiste (Peter Sloterdijk) qui contredit son interdépendance avec ladite nature. Les enseignements de Philippe Descola sont source d’une réflexion profonde sur la multitude des régimes de représentation qui habitent le monde (ontologies), et sur la nocivité de la relation naturaliste occidentale qui s’est définie à partir du 15è siècle en Europe. Nocivité coloniale, patriarcale, sociale et environnementale. A la fracture construite entre humain et non-humain, entre nature et culture, entérinée par l’invention de la photographie et le « fétishisme des formes stables » (Baldine Saint Girons, 2017), je cherche des solutions sensibles pour renvoyer les images à leur relativité et leur vitalité, dans un réseau relationnel organique.
J’échafaude patiemment une poéthique : entremêlement d’écriture poétique, d’art de vivre, d’écologie des images et de métaphysique/spiritualité.
Le corps tient une place centrale dans mon approche plastique et textuelle. Il est en permanence question de susciter un corps dans les dispositifs, des échelles, des déplacements, la mobilité du regard, ses perspectives et ses biais. Le.la spectateur.rice est appelé.e au corps. Par là j'interroge les manières contemporaines d'accéder au visible et au dicible, donc au savoir. Je travaille sur la sensation de l’absent, de l’invisible, l’intuition du corps, son imminence dans le silence, ainsi que sur la capacité de détachement, d'accueil, de préservation des espaces communs de paroles et d’agir. La fixité est toujours mise en branle dans mon travail par le spectre d’un geste, suspendu ou imminent, afin d'attiser l'attention des spectateur.rices, de les rendre sensibles à l'idée multiperspectiviste que tout a le droit, tout est sur le point.
Enfin, mon approche du texte est performative. Mon écriture explore la temporalité de la parole, la simultanéité des récits, la lecture chorale, le rapport au silence, la musicalité et les rythmes de la langue, les accidents/incidences de la versification, le texte comme forme et comme image en gésine.
J’explore divers régimes d’écriture : témoignages, poésie, narration, son. De cette manière, le texte est une ouverture, l’auteur un catalyseur. Et le dispositif un lieu du texte. Le conteur créole est par ailleurs une figure particulièrement inspirante pour envisager l’oralité, le récit performatif, le lieu de l’énonciation. La nuit occupe dans mon imaginaire et mes formes une place prépondérante. Espace de solitude, de silence, de résistance, elle est un ventre sans contour, une matrice indéfinie, un tissage aveugle de mots, de sons, de silences, de gestes et de sensations, de présences matérielles et immatérielles.