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Documentation d'artistes diplômés de l'EESAB, 2015 - 2020

Louis Guillaume

MÀJ 30-05-2022

Mon geste de production démarre toujours par des balades, des pérégrinations dans des lieux urbains ou naturels. Je porte sur l’environnement un regard qui me laisse réceptif à toutes ses suggestions, d’une pratique instinctive, qu’il me plait de mettre en mots par cette formule revisitée de Lavoisier : « rien n’est figé, tout peut se révéler, toute forme est en mouvement »; Cette potentialité qui vise à redéfinir ce qui nous entoure.

Mon environnement s’apparente à un vaste jardin où sont cartographiés différents lieux de récolte.
J’adopte un comportement identique à celui du chasseur-cueilleur en quête permanente, souvent obsessionnelle, de ce qui me servira de matériaux. Ainsi les endroits dans lesquels je peux trouver du bambou, de la Stipa tenuissima (graminée), de la résine de pin (etc), du peuplier noir... Ces zones d’approvisionnements me permettent d’établir mon agenda à l’année avec une récolte ciblée pour chaque saison. Cette unique contrainte, d’une temporalité étirée ou il faut parfois attendre une nouvelle année avant de remettre la main sur un matériau, m’apprend à vivre au rythme du vivant, dans l’attente et l’espérance de belles récoltes; avec l’impatience et dans le bourdonnement de l’évènement.
 
J’accumule et stocke dans mon atelier de la matière prête, c’est-à-dire préalablement éliminée de ses impuretés. Ainsi, maintenues en espace de stockage, elles peuvent hiberner pendant des années avant de faire germer une idée.

Avant même le rapport écologique, c’est le lien plastique et usuel qui me lie à la matière par des propositions en « kit » modulables et ergonomiques.
La sélection de la matière se fait pour ses capacités plastique, sa résistance au temps.
En mimétisme au végétal, je tends vers une autonomie où mes outils sont la matière elle-même.
Mes constructions sont de l’ordre du bricolage et du système D, sans clous ni vis. Elles sont un assemblage organique où chaque élément a sa fonction et participe à l’équilibre global; Toujours dans un traitement respectueux et valorisant de la matière, qui est mélangée le moins possible.
Je considère ma pratique comme intrinsèquement écologique, elle constitue un mode alternatif qui cherche à permuter ce qui existe industriellement en une variation naturelle, faisant parfois appel à des traditions oubliées. J’ai par exemple essayé de réaliser de la colle naturelle à partir de bouleau, de résine de pin, de gui et bientôt de houx.

La notion de cycle est omniprésente: de la balade, à la récolte -mais aussi du transport jusqu’à la mise en place.
Toutes ces étapes font de mes réalisations des propositions éphémères. Je les considère même comme des êtres à part entière qui depuis la récolte, demandent différents soins et attention. M’occuper d’une de mes réalisations c’est comme prendre soin d’une plante, devenir jardinier. J’emploie le terme d’oeuvre seulement pour définir toutes ces étapes de récolte, de renouvellement et de transformation. L’oeuvre d’une vie, comme dans un parallèle sculptural qui se doit d’être incarnée, avec une vitalité et quelques péripéties.

Cette démarche pour le vivant s’est réellement affirmée pendant ma résidence de quatre mois à la Fondation Gruber Jez au Mexique (Yucatán). L’atelier était situé dans un jardin tropical, où la matière organique était donc environnante. Sur place, les conditions climatiques influençaient beaucoup la production. En travaillant avec des pelures d’orange par exemple, je n’avais que quelques heures pour concevoir ma pièce avant qu’elle ne sèche. La chaleur me permettait aussi de la figer et de la conserver.
La suite du processus était assuré par les Linepithema humile, ces fourmis d’Argentine qui attendaient la douceur de la nuit pour venir s’approvisionner en sucre…
De ce voyage, j’en suis revenu différent et je lie depuis mes enjeux à ceux de la nature et de l’éphémère, provenant du vivant et retournant à la terre.

Pour le vivant la question du temps est omniprésente. S’en rapprocher c’est activer une décélération; S’ouvrir vers un monde qu’il faut observer pour le saisir, et toucher pour le comprendre.
Le progrès technique peut aussi se trouver dans ces formes de vie qui nous entourent et qui sont présentes depuis bien plus longtemps que nous. Dans une logique de progression, c’est vers ces formes du passé que j’envisage la construction d’un avenir et que je compte approfondir mes recherches botaniques.