Membre du Collectif Nouveau Document
Observer les paysages est, pour moi, tenter de savoir qui nous sommes. Mon travail prend essence dans l’étude de l’anthropisation, le processus par lequel les populations transforment le territoire par leurs activités industrielles, agricoles, urbaines. Mes projets puisent leurs origines dans les documents, les anecdotes historiques, les histoires entendues dont les sources varient entre des enquêtes menées sur le terrain ou via Google Earth. Il s’agit toujours d’une errance minutieuse qui m’amène à me questionner sur nos constructions mentales et notre manière d’habiter les paysages. Par la photographie, je tente de capturer des fragments d’un territoire et les strates mémorielles qui le composent. Je creuse des histoires intimes et lointaines, je creuse des mythes, creuse pour savoir comment nous avons heurté la géologie terrestre. Par la déambulation, je documente un état des lieux de ces espaces et capture l’étrangeté du réel pour y lover mes fictions. Puis, les poches et les yeux remplis d’images, je prolonge ces récits à travers l’installation, le dessin et l’écriture, médiums installant un nouveau rapport au temps, une distance.
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La forme photographique de Léonie Pondevie est composite, s’agençant par agrégat d’indices : prises de vues contemporaines, images d’archives collectées et documents personnels partagés voisinent sur le mur comme les preuves d’une enquête en cours sur des réalités complexes et évolutives. Avec Un point bleu pâle, Léonie Pondevie contemple le ciel, observe le temps qu’il fait. Comme son père relevait obstinément le niveau des précipitations et les températures dans de petits carnets, elle assemble des images-particules, en attente de leur analyse. C’est une sorte de décantation poétique à laquelle elle soumet ces images : les carnets de son père et ses relevés d’un autre âge, ces images d’archives du village natal, des coupures de presse des années 1970, les nuages devant soi à la mer, une main qui caresse un granit antédiluvien et les gouttes de pluie sur la capuche d’un proche. Le stratosphérique et l’extrêmement proche, l’immensité et l’intimité, le temps géologique impassible et l’urgence climatique, tout est là, sous un même ciel. Plaçant son poste d’observation au cœur de son histoire familiale, Léonie Pondevie échappe à la démonstration manichéenne : le projet photographique, pourtant ample, ne prétend rien élucider mais se pose en humble hypothèse. Ce que l’ensemble Un point bleu pâle figure, c’est l’acte de l’expérience humaine ; non pas la chose, le climat, mais les façons dont nous le tenons en considération, de l’observateur qui devine son insignifiance et consigne avec modestie la vie des nuages dans de petits carnets à leur mise en boîte par des géo-ingénieurs, néo-démiurges. De ces images décantées, se précipite le reflet d’une terre lointaine, avec laquelle nous aurions perdu contact. Et voilà prise la mesure, simultanée et paradoxale, de notre insignifiance et de notre pouvoir de nuisance.
Raphaëlle Stopin, directrice du Centre Photographique de Rouen
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Dans ses photographies, Léonie Pondevie agrège des récits, qui sont autant de strates de mémoires cohabitant sur un même territoire. Ceux-ci, sujets et points de départ de son travail, ont souvent en commun une histoire des extractions qui, parfois, s’oublie. De ces paysages anciennement miniers, aujourd’hui abandonnés des humain-es qui les ont façonnés, elle collecte images et récits de leur passage, tout à la fois glaneuse, enquêtrice et archéologue. Sans urgence, elle laisse s’accumuler, au gré de ses rencontres, les mémoires géologiques et humaines, anciennes et récentes, auxquelles s’ajoutent les fictions qu’elles inspirent.
Chacune de ses oeuvres part d’un fait, lu ou entendu, d’une histoire personnelle, grâce auxquel-les elle aborde des problématiques plus globales, notamment liées aux bouleversements climatiques et l’impact des activités humaines sur les territoires. Ses photographies sont un moyen de lutte par le sublime : à travers elles, elle propose de se réapproprier ces espaces déconsidérés, de se rappeler leurs histoires dissimulées et ainsi de mettre fin à l’hypocrisie d’un discours qui les discrédite en omettant de dire que notre économie a été fondée sur l’extraction de leurs ressources.
Givors, au sud de Lyon, est l’un de ces territoires : ancienne zone industrielle pétrochimique, ses rives ont été désertées par ses habitant-es et, pendant de nombreuses années, il était interdit de se baigner dans le Rhône à son endroit, pollué par la présence de métaux lourds sous la vase. Aujourd’hui la pollution est moindre mais les berges du fleuve sont toujours à l’abandon. Lors d’une résidence sur place en 2021, Léonie Pondevie organise, en concertation avec des sociologues et des scientifiques, une journée plage avec les personnes vivant là depuis longtemps, dans le but de repenser ensemble la façon de les habiter. De ce travail au long court découle une série d’images, dans laquelle, pour la première fois, des silhouettes, des visages et des mains apparaissent, anticipant un possible retour.
Flora Fettah
Texte écrit à l’invitation de Documents d’Artistes Bretagne pour BASE, 2022
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[...] Ses images sont belles et tristes, les eaux poissonneuses et scintillantes. Malgré les boîtes de Carte d’Or et les tickets illiko Cash, les eaux lourdes et les pierres moisies, le fleuve a pris toute sa place. Nous scrutons les balises vertes et rouges, les lagunes dormantes. La route est libre.
Extrait du texte de Céline Duval à propos de l'exposition Le fleuve et son île (Stimultania, Strasbourg)