Arpentage, 2019-2020
Arpentage a débuté sur Google Earth. Des nuits d’errances virtuelles autour du globe m’ont menée jusqu’aux Etats-unis. Sur ces vastes terres inconnues, j’ai trouvé le paysage transformé, quadrillé méthodiquement comme un gigantesque carrelage se prolongeant à l’infini. J’ai découvert le Public Land Survey System ou grille de Jefferson, un système de cartographie et d’attribution des terres instauré peu après l’indépendance de l’Amérique. Puis j’ai collecté, carré après carré, le visage de cette anthropisation à grande échelle. L’uniformisation des territoires ; quadriller les déserts, les villes, les champs ; le vivant. De cette collection de plus de 300 parcelles, j’ai reconstitué mon propre territoire comme un carrelage, déplaçant ainsi les échelles pour me réapproprier ce paysage. En céramique émaillée, chaque carré a été étudié pour reproduire les motifs de la terre transformée. L’installation se compose de 36 pièces à échelle 1/10000 des parcelles réelles.
«Open space, un sentiment d’infini – c’est ce qui vient d’abord à l’esprit des Européens lorsqu’ils discutent du paysage des États-Unis. Pourtant, nos yeux ne se perdent jamais dans ce paysage. Vous n’éprouvez pas la sensation d’apesanteur que génère le Sahara, ni le vide des steppes mongoles.
Quel que soit le spectacle de la terre américaine, il donne toujours le sentiment d’être ancré. Tu es toujours quelque part. Et ce quelque part est la route.
Traverser l’étendue infinie américaine signifie voyager le long d’une route menant imperturbablement tout droit, apparemment indifférente aux caprices de la terre. Même les plus petites routes de campagne non goudronnées sont dessinées par une règle. Ensemble, toutes ces routes forment une immense grille de carrés de taille égale, un motif en damier, pour que vous ayez toujours le sentiment de savoir où vous êtes. Il y a quelque chose de paradoxal dans ce sens d’être ancré.
A première vue, le paysage américain semble se raconter naturellement au voyageur, pour accueillir vonlontier le voyageur ; le sentiment d’être ancré semble être un geste de la nature. Pourtant, ce n’est pas la terre qui vous reçoit; ses contours naturels ne sont pas ce qui s’ouvre au voyageur: c’est la route qui lui ouvre les bras. Ce qui souligne à quel point cet infini a dû être terrifiant pour les premiers colons qui se sont aventurés dans l’Ouest. Aux États-Unis, 70% des terres sont mesurées et organisées selon le principe strict du damier. Chaque carré a un périmètre d’exactement un mile par un mile, défini par les routes. C’est incontournable, et ce n’est pas pour rien qu’on le surnomme le réseau américain : les États-Unis sont ce réseau. L’espace infini de la terre américaine a été apprivoisé en un réseau de routes rectilignes.»
The Seduction of the Grid Essai de Peter Delpeut, extrait du livre Grid Corrections
Les caprices de la terre, 2019
Installation in situ (tirage pigmentaire 16x16cm)
Arpentage, 2020
Ensemble de 36 carrés de céramique émaillée, 16x16cm.
Installation (dimensions variables)