"... Lors de cette expérience, vous avez dû sentir une étrangeté, un déplacement et une irritation énorme. En regard de votre conférence, il semblerait qu'ici, dans ces villages, vous avez clairement compris et pris conscience du fait que la véritable limite de la mentalité rationaliste du monde occidental consiste en sa tendance à nier ce qui ne peut être mesuré. Des phénomènes éphémères qui ne peuvent qu'être décrits quant à leur forme, leur apparence extérieure comme vous disiez..."
Ines Schaber / Stefan Pente - Unnamed Series (2008-2011)
Unnamed Series est une série d'oeuvres réalisées par Stefan Pente et Ines Schaber inspirées par la rencontre entre l'historien d'art Aby Warburg et le prêtre hopi Cleo Jurino à Santa Fe en 1898.
Je définirais mon univers comme étant plutôt celui du silence, du mystère et de l’indicible. Je travaille beaucoup avec les mots et leur attribue une sorte d’aura. Je vais toutefois aborder quelques points essentiels de mes recherches.
Le premier de mes désirs est de réussir à donner corps à l’étrange. Révéler une étrangeté, parfois inquiétante, née de mélanges de données sensorielles à la manière d’une chimie contradictoire. Ainsi vont cohabiter la peur et son antidote, la menace et ses stratégies de protection, ou encore l’errance et son refuge.
Je travaille beaucoup avec l’écrit. Je suis assez inspirée par la littérature naturaliste américaine ou encore les romans d’imagination. Assez vite interviennent les odeurs comme indices à suivre puis les matières spécifiques, les couleurs, les lumières et les sons.
Je reviens aux parfums, aux odeurs car ils sont une part importante de mon travail récent. La création et la diffusion d’une fragrance appelée Christina’s perfume constituent une pièce autonome ; La composition de ce parfum reste secrète, elle donne une autre vie à Christina, personnage centrale de la peinture d’Andrew Wyeth que j’affectionne particulièrement.
Je crois que les odeurs sont extrêmement influentes sur notre cerveau, souvent de manière inconsciente. Je porte un intérêt particulier aux caractéristiques des odeurs, notamment chimiques (stabilité, volatilité), ainsi qu’à leur perception et à leur réception (imprégnation, mémoire, temporalité).
Mon objectif est de voir ressurgir le passé dans le présent. Le matériau olfactif porte une valence affective puissante, l’odeur survit à la disparition.
J’essaie de donner vie à des histoires. Dans l’installation du bivouac qui regroupe trois pièces, the plague, 21 grams et beaver’s cigars, il plane un mystère. Que s’est-il passé là ? Certains matériaux plutôt doux, rassurants en côtoient d’autres plus inquiétants : un matelas coupé en deux, une déflagration, quelques organismes rampants.
La robe de Christina est fluide et transparente, rose pâle mais elle est aussi vide et portée par un cintre grossier. Son parfum est à la fois pastoral et un peu sale comme un fond d’armoire. La poussière est un élément chargé de mémoire.
J’aime particulièrement une certaine forme de suggestion qui s’adresserait au spectateur d’une manière holistique et profonde. J’envisage l’humain comme un milieu chaotique, complexe et incertain.
J’aime à assembler des indices qui éveillent l’instinct, l’animal, l’atavisme. Je travaille beaucoup sur les peurs telles que celle de la maladie comme dans the plague qui se réfère aux épidémies de peste. Ou encore la peur de la mort et de la survivance d’une matière comme dans 21 grams. 21 grams le poids de l’âme ?
Nos peurs nous animent et nous vampirisent, elles sont ressenties profondément et sont aussi pour la plupart très largement partagées.