Paysage(s)
Capter les paysages et les environnements que Gwenn Mérel traverse est affaire de posture. Artiste topographique, qui pratique promenades et pérégrinations solitaires, elle déambule, s’arrête, se penche, recueille, scrute et cadre l’« étendue de pays que l’oeil peut embrasser dans son ensemble »1. C’est un univers imperceptible et infime qu’elle ramène au salon et à l’atelier, un glanage qui grandit sa collection, un cabinet de curiosités végétales et optiques. Qu’il soit métonymique ou panoramique, l’horizon qu’elle nous propose d’embrasser est sensible et fugace. Elle capte la lumière, donne à voir des paysages immenses ou un infiniment petit de nature piégée. Gwenn Mérel se joue des échelles pour en tirer la poésie interstitielle des « presque rien ». Un reflet, un angle de vue, une facette pour donner à voir un paysage fragmenté et soumis au cycle des jours, des saisons et des lunes. Des tableaux dont le thème principal est la représentation d’un site champêtre, dans lequel, nous, les personnages, ne sommes a priori qu’accessoires. Un rapport au monde collectif et intime2 par le regard attentif et penché qu’il impose.
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1 GARNIER Robert, Hippolyte, Paris, 1573.
2 TIBERGHIEN Gilles A., « Il relève du monde de l’art mais également de la maîtrise du territoire, de l’économie, de la psychologie ou du politique. C’est le lieu de la rencontre avec l’autre à travers la pratique des hommes qui l’ont façonné… Le paysage, c’est notre mode d’accès à la nature le plus immédiat. C’est aussi une image de soi. », Le Monde, 25/12/2001.
Texte de Marie Cherfils
À partir d’iconographies ou d’éléments réels extraits du paysage et de l’intime, Gwenn Mérel représente une réalité altérée à travers le prisme du double, miroir d’une projection métaphorique qui pointe et interroge le postmodernisme comme symbole d’instabilité et de fugacité. Elle exprime ce rapport antinomique en photographie ou en vidéo et en revisitant des techniques picturales et ancestrales comme le néo-impressionnisme et la broderie. Ses oeuvres transportent le spectateur dans un univers calme et serein aux accents poétiques et joyeux.
Cependant, derrière cette légèreté apparente, Gwenn Mérel impose un regard subtil et clairvoyant sur le monde. Derrière l’esprit potache de Calendos, oeuvre semblable à un calendrier et qui compare la lune à un camembert, l’artiste renvoie l’homme à sa propre existence. La projection Sun in empty room représente une fenêtre dont la facture rappelle le peintre intimiste Pierre Bonnard. Réalisé sur diapositive, comme une volonté de croiser peinture et photographie, ce double projeté et isolé d’un intérieur domestique, évoque le nostalgique et l’inexorable passage des saisons. La mélancolie s’empare également de Toupie, vidéo réalisée en 2013. Un couvercle en verre appartenant à un sucrier où tout autre contenant suranné, tourne en boucle de la gauche vers la droite et projette son reflet déformé aux éclats flamboyants. Ce double étincelant apporte au couvercle une tout autre dimension. Il devient le joyau d’une époque révolue et merveilleuse, un objet de souvenir comme la si célèbre madeleine de Proust.
Il existe chez Gwenn Mérel cette capacité à représenter et questionner le monde à travers des oeuvres compendieuses. Elle va à l’essentiel et utilise des dispositifs simples mais efficaces et concis. Au bord de l’eau comme De l’autre côté du miroir, les propositions plastiques sont limpides mais engagent le spectateur dans des réflexions complexes autour de l’absence et du double. De même que les oeuvres plus récentes Points de vue et Icy assemblent la ripvière de la Villaigne et Isle, qui représentent en broderie le panorama d’un paysage et une miniature du XVIème siècle, invitent le public à s’interroger sur l’aspect historico-touristique et commercial de la communication patrimoniale.
Texte de David Chevrier