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Documentation d'artistes diplômés de l'EESAB, 2015 - 2021

Germain Marguillard

Texte de Henri Guette, 2023                                                                                                                                                                                          «Germain Marguillard, le point d’origine»

(FR) Où commence le monde ? Si le modèle cosmologique du Big Bang s’est développé et imposé tout au long du XXème siècle grâce aux travaux de mathématiciens, physiciens, astrophysiciens, astronomes, de multiples imaginaires ont été formulés au cours des siècles et par différentes cultures pour en expliquer l’origine. Des récits teintés de sacré ont mis en avant des points de départ possibles, au travers d’un arbre immense, d’un océan sans fin ou d’une pierre comme les Grecs anciens qui firent de l’omphalos de Delphes un symbole et le nombril du monde. En résidence à Mont-Dol en Ille-et-Vilaine et lors de l’exposition Petra Genetrix¹, Germain Marguillard s’est intéressé particulièrement aux pierres qui pouvaient condenser ce sentiment de l’origine, aux ruines des autels sacrificiels dédiés à Cybèle et Mithra et à la manière dont les minéraux peuvent être chargés. Ces signes dans le paysage, ces pierres de granit ou de marbre dans lesquels on voit une manifestation ou un lien avec une puissance transcendante, l’ont amené à se demander comment se perpétuent ces liens jusqu’à nos contemporains, aux forces qui les entourent et les dépassent. Avec Axis Mundi, où il reprend en miniature la forme d’une architecture sacrée antique qu’il associe à un bétyle, il initie la comparaison entre la caverne et le temple. En jouant des matériaux fragiles comme le plâtre et la cire et d’autres plus durables comme la céramique ou le bois, en travaillant jusque dans les socles le trompe l'œil, il cultive le doute d’une époque en mal de repères. En donnant à percevoir comme culturel des ensembles géologiques, il rappelle l’existence de certains cycles et par son goût de l’éclectisme, le retour d’une pensée New Age.

Mircea Eliade dans Le Sacré et le Profane² analyse bien comment “l'homme moderne qui se sent et se prétend areligieux dispose encore de toute une mythologie camouflée et de nombreux ritualismes dégradés”. La crise de l’idée de progrès, la faillite d’utopies révolutionnaires et la remise en cause du modernisme laissent un vide pour de nombreux individus qui cherchent à reconstituer un rapport à la spiritualité, parfois mâtiné d’observations scientifiques. L’exposition À l'infini, pas du tout à Passerelle Centre d’art contemporain³, traduit bien ce mouvement de balancier : j’y crois un peu, beaucoup, passionnément... La proposition de Germain Marguillard n’est pas sans humour et les panneaux de bois et céramique de Fenêtre quantique, malgré la rigueur des schémas de physique quantique qui les ont suggérés ont quelque chose du cartoon. L’exposition appelle à une forme de distance que ce soit avec ce jeu de clin d'œil qui attire et met en garde le spectateur ou plus largement avec sa scénographie qui embrasse le white cube à la fois comme un espace sacré et un laboratoire. L’éclairage particulièrement blanc renforce la netteté des ombres et fait ressortir ce je ne sais quoi dans les œuvres qui nous les présente malgré leurs finitions plus fragiles et presque artisanales.

Les sculptures Montre moi l’univers et Dessine moi la matière, reprennent la forme de l’accélérateur à particules que peu de visiteurs reconnaîtront de prime abord. Objet de fantasme comme dans le texte d’Aurélien Bellanger Eurodance⁴, cet instrument de pointe, formateur de trou noir, est, malgré sa terrible puissance, dépourvu d’un imaginaire auprès du grand public. Il est, en effet, enterré et surveillé, loin des regards, comme si le fait d’être occulte lui conférait une efficience supplémentaire, un rôle presque cosmogonique. Germain Marguillard joue de cette ambivalence en croisant dans ses œuvres les formes scientifiques/technologiques avec des symboles alchimiques. Les opérations de transformation qu’il mène sur ses matériaux participent de ce processus, alimentent l’idée d’un rituel ou d’un passage au sacré. Il s’agit de montrer une continuité symbolique, de traiter du sujet des croyances et d’une forme de foi scientifique.

En tournant autour de Halo, qui reprend la forme de la parabole, on entend un écho, un phénomène sonore que la forme mathématique induit. La sculpture crée un champ autour d’elle qui saisit physiquement le spectateur en absorbant le bruit de ses pas. Quand la parabole de pointe utilisée par les scientifiques sert à capter des signaux qui viennent d’un au-delà, celle déployée par l’artiste sert à explorer un au-dedans. Les matériaux qu’il façonne, à la fois à la main et avec des outils numériques très sophistiqués, le bois, le métal, la céramique et la pierre reconstituée, évoquent un rapport au temps à l’inverse du futurisme. La façon dont il travaille l’ornement de ces formes remet en cause la notion de l’efficacité aujourd’hui, de la neutralité affichée de ces instruments et des objets techniques pour proposer un pas de côté. Qu’est-ce que le boson de Higgs a apporté à notre esthétique d’aujourd’hui ? La question de l’origine tout comme celle de la destination, du but est de celle qui permet à une civilisation de se définir. À l’heure où certains regardent vers Mars, Germain Marguillard avec une exposition comme À l'infini, pas du tout cherche à recréer, sinon un commun à l’échelle de la main, un imaginaire où s’investir quelle que soit l’échelle.

 

1 Germain Marguillard, Petra Genetrix, Maison du tertre, Mont-Dol, Ille-et-Vilaine, 09 juin – 1er juil. 2023
2 Mircea Eliade, Le sacré et le profane, Paris, Gallimard, « Idées », 1965 ; rééd. « Folio essais », 1988
3 Germain Marguillard, À l’infini, pas du tout, Passerelle Centre d’art contemporain, Brest, 16 juin – 16 sept. 2023                                      4 Aurélien Bellanger, Eurodance, Paris, Gallimard Hors Série Littérature, 2018

Text by Henri Guette, 2023                                                                                                                                                                            «Germain Marguillard, the origin point»

 (EN) Where does the world begin? While the cosmological model of the Big Bang was developed and established throughout the 20th century thanks to the work of mathematicians, physicists, astrophysicists and astronomers, a wide range of imaginative ideas have been formulated over the centuries by different cultures to explain its origin. Sacred narratives have put forward potential points of departure, such as an immense tree, an endless ocean or a stone, like the ancient Greeks who made the omphalos of Delphi a symbol and the navel of the world. During his residency at Mont-Dol in Ille-et-Vilaine and for the Petra Genetrix¹ exhibition, Germain Marguillard was particularly interested in stones that could encapsulate this sense of origin, in the ruins of sacrificial altars dedicated to Cybele and Mithra, and in the way minerals can be charged. These signs in the landscape, these granite or marble stones in which we see a manifestation or a link with a transcendent power, led him to ask how these links are perpetuated right up to our contemporaries, to the forces that surround and surpass them. With Axis Mundi, in which he reproduces in miniature the form of an ancient sacred architecture and associates it with a betylus, he initiates a comparison between the cave and the temple. By playing with fragile materials like plaster and wax and more durable ones like ceramics and wood, and by using trompe l'oeil in the bases, he cultivates the doubts of an era in need of reference points. By presenting geological assemblages as cultural, he reminds us of the existence of certain cycles and, through his taste for eclecticism, the return of New Age thinking.

 Mircea Eliade, in Le Sacré et le Profane², gives a good analysis of how "modern man, who feels and claims to be areligious, still possesses a whole camouflaged mythology and many degraded ritualisms". The crisis of the idea of progress, the collapse of revolutionary utopias and the questioning of modernism have left a void for many individuals who are seeking to reconstitute a relationship with spirituality, sometimes mixed with scientific observations. The À l'infini, pas du tout exhibition at Passerelle Centre d'art contemporain reflects this swing of the pendulum: I believe in it a little, a lot, passionately... Germain Marguillard's proposal is not without a sense of humour, and the wood and ceramic panels of Quantum Window, despite the rigour of the quantum physics diagrams that suggested them, have something of the cartoon about them.The sculptures, Montre moi l'univers and Dessine moi la matière, take the form of a particle accelerator that few visitors will recognise at first glance. An object of fantasy, as in Aurélien Bellanger's text Eurodance⁴, this cutting-edge black hole-forming instrument is, despite its terrible power, devoid of an imaginary world among the general public. It is, in fact, buried and guarded, out of sight, as if the fact that it is occult gave it an extra efficiency, an almost cosmogonic role. Germain Marguillard plays on this ambivalence by combining scientific/technological forms with alchemical symbols in his work. The transformation operations he carries out on his materials are part of this process, feeding into the idea of a ritual or a passage to the sacred. The idea is to show a symbolic continuity, to deal with the subject of beliefs and a form of scientific faith.

 As you walk around Halo, which takes the form of a parabola, you hear an echo, a sound phenomenon induced by the mathematical form. The sculpture creates a field around itself that physically captures the viewer by absorbing the sound of their footsteps. Whereas the state-of-the-art satellite dish used by scientists is used to pick up signals from beyond, the one deployed by the artist is used to explore an inside. The materials he shapes, both by hand and with highly sophisticated digital tools - wood, metal, ceramics and reconstituted stone - evoke a relationship with time that is the opposite of futurism. The way he adorns these forms calls into question today's notion of efficiency, of the neutrality displayed by these instruments and technical objects, and proposes a step to the side. What has the Higgs boson contributed to our aesthetics today? The question of origin, like that of destination and purpose, is one that enables a civilisation to define itself. At a time when some people are looking towards Mars, Germain Marguillard's exhibition À l'infini, pas du tout seeks to recreate, if not a common ground on the scale of the hand, an imaginary world in which to invest oneself, whatever the scale.

 

1 Germain Marguillard, Petra Genetrix, Maison du tertre, Mont-Dol, Ille-et-Vilaine, 09 juin – 1er juil. 2023
2 Mircea Eliade, Le sacré et le profane, Paris, Gallimard, « Idées », 1965 ; rééd. « Folio essais », 1988
3 Germain Marguillard, À l’infini, pas du tout, Passerelle Centre d’art contemporain, Brest, 16 juin – 16 sept. 2023                                    4 Aurélien Bellanger, Eurodance, Paris, Gallimard Hors Série Littérature, 2018