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Documentation d'artistes diplômés de l'EESAB, 2015 - 2021

Caroline Thiery

MÀJ 26-02-2024

Caroline Thiery navigue entre les doutes et les perplexités - autant intimes que politiques - qu’elle se formule avec une pointe d’absurdité. Pourquoi “le ramasse-miettes fonctionne moins bien quand la nappe est poreuse”? se demande-t-elle en guise de titre pour un de ses textes. Et “quand toute l’eau partira, que ferons-nous de nos chairs graisseuses?” médite-t-elle ironiquement dans l’une de ses performances. Ou encore, s’agit-il d’une “situation d’échec ou d’une belle leçon d’humilité pour ce brave esprit d’intérim?” s’interroge-t-elle dans sa pièce Saucisse intérimaire, alors qu’elle raconte ses tentatives d'étiquetage de barquettes lors d’un job alimentaire en supermarché.
Ces questionnements annoncent d’emblée le style sarcastique et direct des micro-narrations contenues dans les fanzines colorés et autoédités qui prolifèrent sous sa plume introspective et engagée. Dénués de ponctuation, de majuscules, et énergiquement rythmés par des sauts à la ligne à la manière de dialogues intérieurs, les textes écrits, lus ou performés de Caroline Thiery trouvent leur inspiration dans les langages spontanés des communautés Internet. Mèmes, commentaires, réseaux sociaux et sites de rencontre alimentent son répertoire narratif et iconographique par ce qu’ils révèlent de notre être ensemble. A partir de détails triviaux et d’anecdotes, notamment puisés dans ses expériences personnelles, elle livre son regard sur les modalités d’interaction à l'œuvre dans nos sociétés de consommation hyperconnectées. Scrolls, stalks, ghosts, cyber-harcèlements, hacks…autant de postures rentrées dans les usages de l’ère 2.0 que l’artiste questionne et déconstruit grâce au pouvoir de l’écriture.
C’est dans cette volonté de déconstruction qu’elle s’attaque également aux formes et aux formats communicationnels. Revisitant les atouts de la reproduction facile, économique et bas de gamme célébrés par les pratiques culturelles populaires et underground des années 1990, ses œuvres textuelles se déploient sur du banal polycopié agrafé. Loin de la sophistication numérique qui a façonné son adolescence, elle réaffirme paradoxalement une position low-tech où la simplicité du support facilite la circulation et la lecture d’histoires ancrées dans le quotidien.
En surfant avec humour entre les styles du journal intime et du conte contemporain, l’artiste démêle les nœuds de nos fantasmes et élucide nos projections anthropiques sur le monde. Dans une naïveté assumée et revendiquée - qui se retrouve également dans son corpus de dessins et d’installations -, elle détourne les représentations stéréotypées associées au désir ou, inversement, au dégoût que l’économie libérale fait prospérer dans les médias, en particulier les aliments et les animaux. Elle se les réapproprie à la manière de fanfictions pour se raconter des histoires à elle qui, dans ses expositions, prennent l’allure de carnets, de couvertures peintes, de posters et autres objets réinventés, aux côtés de ses performances. Des histoires qui se révèlent bien plus universelles et moins anodines qu’elles n’y paraissent.
En effet, à travers le filtre de l’intime, du sentiment amoureux et de l’émotion, ses récits mettent à nu les peurs collectives et les clivages sociaux enracinés dans nos rouages culturels qui altèrent nos capacités humaines à “être et faire ensemble”.
En réinjectant une subjectivité à la fois crue et sensible dans les codes relationnels établis, exacerbés par l’anonymat et l’immadiateté du web, les oeuvres de Caroline Thiery donnent un nouvel écho poétique au célèbre slogan féministe “The personal is political”. Faisant de l’approche intimiste un outil à la fois poétique et militant, elle impulse dans ses œuvres cette même aspiration défendue par la réalisatrice Céline Sciamma qui, en 2019, affirmait "plus on est intime, plus on est politique"

Licia Demuro, 2023

Caroline Thiery navigates between doubts and perplexities - both intimate and political - that she formulates with a touch of absurdity. Why "the crumb picker doesn't work that well if the tablecoth is too porous?" she asks herself as a title for one of her texts. And "when all the water will be gone, what are we going to do with our greasy flesh?" she meditates ironically in one of her performances. Or is it a "failure situation or a great humility lesson for this brave temp job worker spirit?" she asks in her play Saucisse Intérimaire, as she recounts her attempts to label trays during a temp job in a supermarket.
These questions immediately announce the sarcastic and direct style of the micro-narrations contained in the colorful and self-published fanzines which proliferate under her introspective and committed pen. Devoid of punctuation, capital letters, and energetically punctuated by line breaks like interior dialogues, Caroline Thiery's written, read or performed texts find their inspiration in the spontaneous languages of Internet communities. Memes, comments, social networks and dating apps feed her narrative and iconographic repertoire through what they reveal about our being together. Based on trivial details and anecdotes, particularly drawn from her personal experiences, she gives her perspective on the modalities of interaction at work in our hyperconnected consumer societies. Scrolls, stalks, ghosts, cyber-harassment, hacks...so many postures that are part of the uses of the 2.0 era that the artist questions and deconstructs thanks to the power of writing.
It is in this desire for deconstruction that she also attacks communication forms and formats.Revisiting the advantages of easy, economical and low-end reproduction celebrated by popular and underground cultural practices of the 1990s, her textual works are deployed on banal stapled sheets. Far from the digital sophistication that shaped her adolescence, she paradoxically reaffirms a low-tech position where the simplicity of the medium facilitates the circulation and reading of stories anchored in everyday life.
By surfing with humor between the styles of the diary and the contemporary tale, the artist untangles the knots of our fantasies and elucidates our anthropic projections on the world.In an assumed and claimed naivety - which is also found in her corpus of drawings and installations - she diverts the stereotypical representations associated with desire or, conversely, with disgust that the liberal economy makes flourish in the media, particularly with food or animals. She reappropriates it in the manner of fan fiction to tell her own stories which, in her exhibitions, take the form of notebooks, painted blankets, posters and other reinvented objects, alongside her performances.Stories that turn out to be much more universal and less trivial than they seem.
Indeed, through the filter of the intimate, the feeling of love and emotion, his stories expose the collective fears and the social divisions rooted in the cogs of our culture which alter our human capacities to “be and do together”.
By reinjecting a subjectivity that is both raw and sensitive into established relational codes, exacerbated by the anonymity and immediacy of the web, Caroline Thiery's works give a new poetic echo to the famous feminist slogan “The personal is political”. Making the intimate approach a tool that is both poetic and militant, she inspires in her works this same aspiration defended by the director Céline Sciamma who, in 2019, affirmed “the more intimate we are, the more political we are”.

Licia Demuro, 2023