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Documentation d'artistes diplômés de l'EESAB, 2015 - 2021

Antoine Lomenech

« L’esprit des choses et des lieux hantent la pratique d’Antoine Lomenech, designer artiste.
Une chose, un matériau : la porcelaine. Un lieu : la Bretagne. Toute la Bretagne ?
Non. Seuls les coins plus propices aux légendes vont réclamer son attention.
Aux parages extrêmes du Yeun Elez, plus loin sur la commune de Berrien, une large
cicatrice blanche se découpe aux flancs des Monts d’Arrée. Se trouve là une carrière
de kaolin abandonnée, témoignage brutal de l’activité des Hommes. Le gisement
aujourd’hui est arrivé à épuisement, ou presque. La porcelaine dure du plus loin de
ses origines s’obtient à partir de cette argile blanche aux qualités exceptionnelles.
Antoine va élire le site comme terrain d’exploration. Et si, maintenant que toute
production industrielle n’est plus possible, ce qui reste de la ressource pouvait
procéder de la mise au point d’une « porcelaine de Bretagne » ?


D’autre part, afin de ne plus épuiser davantage ces carrières, il en vient à intervenir sur
des porcelaines de seconde main. Dans une démarche où s’allient poésie, Système
D et critique du productivisme, Antoine va chercher à « faire avec » – et laisser
faire – le paysage et ces sources d’énergie naturelle : le vent, le soleil, les marées, le
courant des rivières et chercher à mettre au point des mécaniques rudimentaires au
service de sa porcelaine. Un moulin à grenaillage à partir d’un tambour de machine
à laver récupéré, un manchon à air reconfiguré pour émailler les petites porcelaines
issues des recycleries...Où ingéniosité rime ici souvent avec ingénuité tant la
fonctionnalité n’est pas immédiatement le but recherché.

Le territoire appose ainsi une nouvelle écriture sujette à l’interprétation, sur la
peau blanche des porcelaines devenues des artefacts interprètes de ces lieux.
De cette manière, Antoine souhaite redonner du dialogue entre l’Homme et son
environnement, et questionner notre rapport au monde.
Le terrain fait office ici d’atelier. Ses protocoles patiemment élaborés sont vérifiés sur
place, sur un estran ou au détour d’un sentier d’interprétation. Soit des sites également
fréquentés par des promeneurs nécessairement intrigués par ces expériences
incongrues. Ses dégourdis laissés au bon vouloir du ressac ne s’apparentent que de
très loin avec une vaisselle fine et translucide. Livrés au hasard des éléments, comme
à l’abandon, ils attisent inévitablement la curiosité. Le dialogue alors se noue, le
récit se tisse entre le designer et les passants interloqués par ces dispositifs low-tech
manifestes d’une démarche attentive à l’économie et à la simplicité de moyens, à
l’imprévu et à la force des lieux.

L’action, pour modeste ou rustique qu’elle puisse paraître, exprime au plus près le
défi d’Antoine Lomenech. Penser et faire avec le paysage, ses aléas heureux ou
désastreux. Se défaire de l’expertise savante et viser une position poétique plus
aventureuse : un design animiste serait-il possible ? »

Morwena Novion,

Théoricienne d'art et de design